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CRATYLE

pour toi, en tout cas, dit-il ; ton nom n’est pas Hermogène, même si tout le monde te le donne. » Là-dessus, je le questionne, désireux de savoir ce qu’il veut dire ; 384 mais, sans rien expliquer, il me traite avec ironie, affectant de nourrir quelque idée en son for intérieur, et d’avoir sur ce sujet une connaissance qui me déterminerait, s’il voulait la dire clairement, à lui donner mon approbation et à soutenir sa propre thèse. Si donc tu as quelque moyen d’interpréter l’oracle de Cratyle, je l’écouterai avec plaisir. Et surtout, j’apprendrai encore plus volontiers ce que tu penses de la justesse des noms, s’il te plaît de le dire.

Socrate. — Fils d’Hipponicos, Hermogène, un vieux proverbe dit que « b les belles choses sont difficiles » quand il s’agit d’en apprendre la nature. En particulier, l’étude des noms n’est pas une petite affaire. Si, pour ma part, j’avais déjà entendu de la bouche de Prodicos la leçon de cinquante drachmes[1] qui, à l’en croire, donne à l’auditeur une connaissance complète de la question, rien ne t’empêcherait de savoir à l’instant la vérité sur la justesse des noms. Mais en fait je n’ai entendu que la leçon d’une drachme ; j’ignore donc quelle peut être la vérité en ces sortes de matières. D’ailleurs c je suis prêt à la rechercher de concert avec toi et Cratyle. Quant à nier qu’Hermogène soit ton vrai nom[2], c’est, à ce que je soupçonne, une plaisanterie de sa part : peut-être pense-t-il que tu échoues dans tous tes efforts pour acquérir la fortune. Mais, je le répète, ce sont là des matières difficiles à connaître. Il faut mettre la recherche en commun, pour examiner si c’est toi qui as raison ou Cratyle.

Hermogène. — Ma foi, Socrate, je me suis souvent, pour ma part, entretenu avec lui et avec beaucoup d’autres, d sans pouvoir me persuader que la justesse du nom soit autre chose qu’un accord et une convention. À mon avis, le nom qu’on assigne à un objet est le nom juste ; le change-t-on

  1. Sur ces leçons, voir Aristote, Rhét., III, 14, 1415 b. Prodicos vint plusieurs fois à Athènes, envoyé en ambassade par ses concitoyens de Céos. L’Hippias majeur, 282 a, atteste la grande réputation que lui valut son éloquence, et les sommes prodigieuses que lui firent gagner ses leçons. Dans le Ménon, 96 d, Socrate dit avoir suivi son enseignement. Le souci que manifestait Prodicos de la justesse du langage est parodié dans le Protagoras, 337 a-c.
  2. Le nom signifie : de la race d’Hermès, dieu du gain. Il con-