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INTRODUCTION

À quoi bon entreprendre un parallèle détaillé[1] ? Ne voit-on pas comment Platon, qui ne peut éviter les rencontres d’idées, mais pourrait éviter les rencontres de formules, accepte celles-ci, les recherche peut-être, et continue imperturbablement le développement de sa propre thèse, transposant, exhaussant à son plan idéal les thèmes que rabaissait la comédie, corrigeant s’il le faut un détail au passage, mais de loin, sans en avoir l’air, et sans jamais s’apercevoir devant nous que la comédie existe ? Il l’avait tout aussi bien ignorée quand il parlait (415 e-421 c) de la communauté des biens, qui tient une si grande place dans l’Assemblée des Femmes (590-610 et passim), et l’ignore encore en en reparlant ici, aussi bien que des procès rendus par elle impossibles (Rép. 464 b/e-Assemblée 635-671). Mais, sitôt qu’il aborde, avec la troisième vague, le gouvernement des philosophes, dont Aristophane n’a point fait mention, alors Socrate recommence ses allusions et parle « du flot de ridicule et de honte qui menace de le submerger » (473 c). Ainsi procède Platon pour traverser sans danger la zone d’idées où le comédien a semé les formules et les situations les plus fécondes en ridicule : il paralyse d’abord, par une attaque abondante et serrée, la puissance d’action de ces moyens comiques et seulement alors se lance dans le terrain dangereux, certain d’étouffer le péril par le seul déploiement et le progrès de sa thèse. Quelque hypothèse qu’on fasse, ce procédé n’est intelligible que si l’exposé de la communauté des femmes dans la République a été conçu après celui de la comédie. Nous ne pouvons prendre l’Assemblée des Femmes comme terminus ante quem ni pour une première édition abrégée de la République, ni pour une publication du Livre V, ni même utilement pour la publication des duo fere libri ou Livres I-IV, 427 c de la République[2].}}

  1. On trouvera, d’ailleurs, ce parallèle détaillé chez Adam, I, p. 350/1 ; les pages qui suivent discutent excellemment la portée de ces rencontres. Je suis seul responsable des idées émises ici sur la tactique de Platon dans cette circonstance. Adam donne (p. 345 et suiv.) la bibliographie essentielle de la question depuis le xviiie s. jusqu’à 1905. Pour les années suivantes, cf. Ueberweg-Prächter, 12e éd. 1926.
  2. Morgenstern (de Plat. Rep. comment. prima, 1794, p. 74/8, ap. Adam, I, 345) émettait déjà l’idée qu’Aristophane avait sous les