Page:Platon - Œuvres complètes, Les Belles Lettres, tome XIII, 2.djvu/288

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.
407 d
185
CLITOPHON

que les injustes sont injustes, — après quoi, vous osez soutenir que l’injustice est une chose honteuse et haïe des dieux : comment donc choisirait-on volontairement pareil mal ? — On est alors vaincu par les plaisirs, dites-vous. — Mais cette défaite n’est-elle pas elle-même involontaire, si vaincre est volontaire ? Ainsi de toute façon, l’injustice est involontaire[1], l’argument le démontre, et c’est un devoir de s’en préoccuper plus qu’on ne le fait actuellement, eun devoir pour l’individu, en même temps qu’un devoir public pour toutes les cités ».

Ces discours, Socrate, quand je t’entends si fréquemment les proférer, j’en suis fort satisfait et tu ne saurais croire combien je les approuve. Et aussi lorsque tu continues en disant : ceux qui exercent le corps et négligent l’âme agissent de même : ils négligent la partie qui commande et donnent tous leurs soins à celle qui est subordonnée[2]. Et encore quand tu affirmes que pour celui qui ne sait pas se servir d’un objet, mieux vaut n’en pas faire usage. Si donc, quelqu’un ne sait pas faire usage de ses yeux, de ses oreilles, de son corps en général, il sera préférable pour lui de ne pas entendre, de ne pas voir, de ne pas user de quelque autre manière de son corps, plutôt que d’en user n’importe comment. Ainsi en est-il 408également de l’art : quiconque ne sait pas se servir de sa propre lyre, ne saura évidemment pas davantage se servir de celle de son voisin et quiconque ne sait pas se servir de celle des autres, ne saura non plus se servir de la sienne : ainsi en sera-t-il pour tout autre instrument ou tout autre objet dont il s’agisse. Enfin, ton discours conclut fort bien par ces mots : « Quiconque ne sait pas faire usage de son âme ferait mieux de donner à cette âme le repos et de sortir de la vie, plutôt que de vivre en agissant par lui-même, mais si quelque nécessité le maintenait dans la vie, il serait préférable à un tel homme de passer cette vie dans

  1. Telle est, en effet, la thèse socratique : personne n’est mauvais volontairement, car cela équivaudrait à se rendre volontairement malheureux : κακός … ἑκὼν οὐδείς. On trouve cette formule ou d’autres semblables chez Platon (Protagoras, 345 et Apologie, 35 e et suiv., Ménon, 77 b et suiv., Timée, 86 d) ; chez Xénophon (Mémorables, III, 9, 5 ; IV, 6, II) ; chez Aristote (Eth. Nicom., Γ 6, 1113 b, 14). Socrate réfute longuement la doctrine qui attribue la défaite morale de l’homme à la puissance du plaisir dans Protagoras, 354 e et suiv.
  2. Dans Alcibiade I, 130 a et suiv. Socrate démontre que l’âme