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DÉMODOCOS

de cela ? Si on vous le demandait encore, je suppose que vous ne le concéderiez pas non plus. Quand donc les objets sur lesquels vous délibérez dsont par nature obscurs pour vous, et quand vous qui portez les suffrages, et vous qui donnez les conseils, êtes incompétents, il est évident, et vous l’avouez vous-mêmes, qu’on tombe dans l’incertitude et qu’on se repent souvent des conseils que l’on a donnés ou des suffrages que l’on a portés. Or, voilà qui ne doit pas arriver aux gens de bien. Ils savent, en effet, quelle est la nature des choses qu’ils conseillent et que leurs raisons seront connues avec certitude de ceux qu’ils persuadent ; ils savent aussi que pas plus pour ces derniers que pour eux-mêmes, il n’y aura lieu de se repentir. eVoilà donc, d’après moi, sur quoi il vaut la peine de demander aux gens d’esprit leurs conseils, mais non sur ces questions pour lesquelles tu me les demandes. Dans le premier cas, le conseil aboutit au succès, mais ces sortes de bavardages sont vouées à l’échec.

Je me trouvai avec un homme qui reprochait à son compagnon d’ajouter foi à l’accusateur sans avoir entendu le défenseur, mais uniquement l’accusateur. « Tu fais là, disait-il, une chose indigne, en condamnant d’avance un homme, sans l’avoir connu[1], 383et sans écouter non plus ses amis qui le connaissent et aux raisons desquels tu aurais bien dû te fier. Mais sans entendre les deux parties, tu as ainsi ajouté foi témérairement à l’accusateur. Or, la justice demande qu’on entende le défenseur avant de louer ou de blâmer, aussi bien que l’accusateur. Comment peut-on, en effet, trancher convenablement un débat ou juger selon les formes, si on n’entend pas les deux parties ? C’est par la comparaison des discours,

    loppement : l’auteur présuppose la doctrine explicitement exposée dans le Sisyphe, mais d’une façon plus sophistique (390 d et suiv.) : puisque l’objet de la délibération appartient au domaine des choses futures, il ne peut être matière de connaissance.

  1. Suivant la terminologie judiciaire, παραγίγνεσθαι signifie : être témoin (cf. Eschyle, Eum. 318 ; Platon, Républ. II, 368 b ; Théétète, 201 b). Le censeur reproche donc ici à son compagnon de condamner un homme, avant d’avoir pu se faire à son sujet une opinion personnelle, par soi-même, ou par ceux qui ont été témoins de ses actes.