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Page:Platon - Apologie de Socrate ; Criton ; Phédon (trad. Chambry), 1992.djvu/146

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Je vais te le dire. J’étais assis à sa droite, près de son lit, sur un siège bas, et lui à une place beaucoup plus élevée que la mienne. Il me caressa la tête et prenant dans sa main les cheveux qui pendaient sur mon cou, car c’était son habitude de jouer avec mes cheveux, quand il en avait l’occasion : « Demain, PHÉDON, dit-il, tu feras sans doute couper ces beaux cheveux-là ?

— Apparemment, Socrate, répondis-je.

— Non pas, si tu m’en crois.

— Alors, que veux-tu que je fasse ? demandai-je.

— C’est aujourd’hui, dit-il, que je ferai couper les miens et toi les tiens, si notre argument meurt et que nous ne puissions pas le ramener à la vie. Moi, si j’étais toi et si l’argument m’échappait, je ferais le serment, comme les Argiens, de ne pas laisser pousser mes cheveux avant d’avoir repris les armes et vaincu le raisonnement de Simmias et de Cébès.

— Mais contre deux, Héraclès lui-même, dit-on, n’est pas de force.

— Eh bien, reprit-il, suppose que je suis Ioléos et appelle-moi à l’aide, tandis qu’il fait encore jour.

— Je t’y appelle donc, non comme Héraclès, mais comme Ioléos appelant Héraclès.

— Peu importe, dit-il.

XXXIX. — Mais avant tout mettons-nous en garde contre un danger.

— Lequel ? dis-je.

— C’est, dit-il, de devenir misologues, comme on devient misanthrope ; car il ne peut rien arriver de pire à un homme que de prendre en haine les raisonnements. Et la misologie vient de la même source que la misanthropie. Or la misanthropie se glisse dans l’âme quand, faute de connaissance, on a mis une confiance excessive en quelqu’un que l’on croyait vrai, sain et digne de foi, et que, peu de temps après, on découvre qu’il est méchant et faux, et qu’on fait ensuite la même expérience sur un autre. Quand cette expérience s’est renouvelée souvent, en particulier sur ceux qu’on regardait comme ses plus intimes amis et ses meilleurs camarades, on finit, à force d’être choqué, par prendre tout le monde en aversion et par croire qu’il n’y a absolument rien de sain chez personne. N’as-tu pas remarqué toi-même que c’est ce qui arrive ?