Page:Platon - Le Banquet ; Phèdre (trad. Chambry), 1991.djvu/71

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par la fécondation et la génération ; mais elle est impossible dans ce qui est discordant ; or le laid ne s’accorde jamais avec le divin, tandis que le beau s’y accorde. La Beauté est donc pour la génération une Moire (53) et une Eileithyie. Aussi quand l’être pressé d’enfanter s’approche du beau, il devient joyeux, et, dans son allégresse, il se dilate et enfante et produit ; quand, au contraire, il s’approche du laid, renfrogné et chagrin, il se resserre sur lui-même, se détourne, se replie et n’engendre pas ; il garde son germe, et il souffre. De là vient pour l’être fécond et gonflé de sève le ravissement dont il est frappé en présence de la beauté, parce qu’elle le délivre de la grande souffrance du désir ; car l’amour, ajouta-t-elle, n’est pas l’amour du beau, Socrate, comme tu le crois.— Qu’est-ce donc ?— L’amour de la génération et de l’enfantement dans le beau.— Je veux bien l’admettre, dis-je.— Rien n’est plus vrai, reprit-elle. Mais pourquoi de la génération ? Parce que la génération est pour un mortel quelque chose d’immortel et d’éternel ; or le désir de l’immortalité est inséparable du désir du bien, d’après ce dont nous sommes convenus, puisque l’amour est le désir de la possession perpétuelle du bien : il s’ensuit nécessairement que l’amour est aussi l’amour de l’immortalité ».

XXVI. — Tout ce que je viens de dire, je l’ai recueilli de sa bouche quand elle parlait de l’amour. Un jour elle me demanda : « Quelle est, à ton sens, la cause de cet amour et de ce désir, Socrate ? N’as-tu pas observé dans quelle crise étrange sont tous les animaux, ceux qui volent comme ceux qui marchent, quand ils sont pris du désir d’enfanter, comme ils sont tous malades et travaillés par l’amour, d’abord au moment de s’accoupler, ensuite quand il faut nourrir leur progéniture ; comme ils sont prêts à la défendre, même les plus faibles contre les plus forts, et à mourir pour elle ; comme ils se laissent torturer eux-mêmes par la faim pour la sustenter et comme ils sont prêts à tous les sacrifices en sa faveur ? À l’égard des hommes, ajouta-t-elle, on pourrait croire que c’est la réflexion qui les fait agir ainsi ; mais pour les animaux, quelle est la cause de ces dispositions si amoureuses ? pourrais-tu le dire ? » J’avouai encore une fois que je l’ignorais.