Page:Platon - Protagoras ; Euthydème ; Gorgias ; Ménexène, Ménon, Cratyle (trad. Chambry), 1992.djvu/311

La bibliothèque libre.
Cette page n’a pas encore été corrigée

vaincus et vous vainqueurs, c’est de vous mettre en état de ne pas abuser de la renommée de vos ancêtres et de ne pas la dilapider, convaincus que, pour un homme qui croit avoir quelque valeur, rien n’est plus honteux que de prétendre être honoré, non pour son mérite personnel, mais à cause du renom de ses ancêtres. Les honneurs des parents sont pour leurs descendants un beau et magnifique trésor ; mais jouir d’un trésor de richesses et d’honneurs sans le transmettre à ses descendants, faute d’avoir acquis soi-même des biens et des titres de gloire personnels, c’est une honte et une lâcheté. Si vous pratiquez ces maximes, vous viendrez nous rejoindre, comme des amis chez des amis, lorsque le sort qui vous est réservé vous amènera ici ; mais si vous n’en tenez pas compte et si vous devenez lâches, personne ne vous accueillera favorablement. Cela soit dit aux enfants.

XX. — Quant à nos pères, s’ils sont encore vivants, et à nos mères, il faut les exhorter sans cesse à supporter le malheur aussi bien que possible, si le malheur vient à les frapper, et ne pas se lamenter avec eux, car ils n’auront pas besoin qu’on excite leur douleur : leur infortune leur causera suffisamment de chagrin. Il faut plutôt essayer de le guérir et de l’adoucir, en leur rappelant que les Dieux ont exaucé les plus chers de leurs vœux ; car ce n’est pas l’immortalité qu’ils demandaient pour leurs enfants, mais la vertu et la gloire ; en obtenant cela, ils ont obtenu les plus grands des biens. Quant à voir tout succéder au gré de ses désirs dans le cours de sa vie, ce n’est pas une chose aisée pour un mortel. S’ils supportent virilement leur malheur, on reconnaîtra qu’ils étaient en effet les pères d’enfants courageux et qu’ils les égalent en courage. Si au contraire ils succombent à leur douleur, ils laisseront soupçonner qu’ils n’étaient pas nos pères ou que ceux qui nous louent sont des menteurs. C’est une alternative qu’ils ne doivent pas admettre ; mais c’est à eux surtout qu’il appartient de nous louer par leur conduite, en faisant apparaître aux yeux de tous que, braves, ils ont réellement donné le jour à des braves.

Ce n’est pas d’aujourd’hui que le dicton Rien de trop passe pour une belle maxime ; car elle est belle en effet. L’homme qui fait dépendre de lui-même toutes les conditions qui conduisent au bonheur ou qui en rapprochent, au lieu de les suspendre à d’autres dont les bons ou les mauvais succès feraient flotter sa fortune à l’aventure, celui-là a bien ordonné sa vie : voilà l’homme sage, voilà l’homme brave et sensé. Qu’il acquière des richesses et des enfants ou qu’il les perde, c’est lui qui obéira le mieux au précepte ; on ne le verra ni joyeux ni chagrin à l’excès, parce que c’est en lui-même qu’il a mis sa confiance. Voilà comment nous prétendons que soient les nôtres et