Page:Platon - Protagoras ; Euthydème ; Gorgias ; Ménexène, Ménon, Cratyle (trad. Chambry), 1992.djvu/312

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comment nous leur demandons et enjoignons d’être. Voilà comment nous nous montrons nous-mêmes en ce moment, sans nous indigner ni nous effrayer à l’excès, s’il nous faut mourir en cette occasion. Nous prions nos pères et nos mères de passer le reste de leur vie dans ces mêmes dispositions. Qu’ils sachent que ce n’est pas en se lamentant et en nous pleurant qu’ils nous feront le plus de plaisir ; mais, si les morts gardent quelque sentiment des vivants, ils ne sauraient nous causer un plus grand déplaisir qu’en se maltraitant et en se laissant accabler par leur malheur ; au contraire, c’est en le supportant d’un cœur léger et avec modération qu’ils nous complairont le mieux. Car nous allons avoir la fin la plus belle qui soit pour des humains, de sorte qu’il convient de nous glorifier, plutôt que de nous pleurer. Quant à nos femmes et à nos enfants, qu’ils en prennent soin, les nourrissent et tournent de ce côté-là leur pensée : c’est ainsi qu’ils oublieront le mieux leur infortune et qu’ils mèneront une vie plus belle, plus droite et plus agréable à nos yeux.

Voilà le message qu’il suffit de rapporter de notre part à nos proches. Quant à la cité, nous l’exhorterions à prendre soin pour nous de nos pères et de nos fils, en élevant décemment les uns, et en nourrissant comme il convient les autres durant leur vieillesse, si nous ne savions que, même sans que nous l’y invitions, elle y veillera comme il convient.

XXI. — Voilà donc, fils et parents des morts, ce qu’ils nous ont chargés de vous rapporter et je vous le rapporte, pour ma part, avec toute l’application dont je suis capable. Moi-même, j’adjure, en leur nom, les fils d’imiter leurs pères, les autres d’être tranquilles sur leur sort, certains que les particuliers et l’État nourriront vos vieux jours et que chacun de nous, chaque fois qu’il rencontrera quelque parent du mort, lui témoignera sa sollicitude. Quant à l’État, vous connaissez vous-mêmes, je pense, ses attentions pour vous : vous savez qu’il a établi des lois pour les enfants et les pères de ceux qui sont morts à la guerre, afin qu’on ait soin d’eux, et que la plus haute magistrature de l’État est chargée de veiller sur eux plus que sur les autres citoyens, afin que les pères et mères de ces morts ne soient pas victimes de l’injustice. Pour les enfants, il contribue lui-même à leur éducation et s’applique à leur faire oublier autant que possible qu’ils sont orphelins : il se charge lui-même de leur servir de père, quand ils sont encore enfants, et, quand ils arrivent à l’âge d’homme, il les envoie en possession de leurs biens en leur faisant présent d’une armure complète. Il leur montre et leur rappelle la conduite de leurs pères en leur donnant les instruments de la vaillance paternelle ; il veut en même temps qu’en manière de bon augure ils soient revêtus de