Page:Platon - Théétète. Parménide, trad. Chambry.djvu/173

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ête, aurai-je alors une opinion de toi plutôt que de moi-même ou de tous ceux qui ont des traits pareils ?

THÉÉTÈTE

Pas du tout.

SOCRATE

Mais Théétète ne sera pas, j’imagine, l’objet de mon opinion, avant que sa camardise ait gravé et déposé en moi un souvenir différent des autres camardises que j’ai vues, et ainsi des autres parties qui te composent, de sorte que, si je te rencontre demain, cette camardise te rappelle à mon esprit et me fasse concevoir de toi une opinion juste.

THÉÉTÈTE

C’est parfaitement exact.

SOCRATE

C’est donc sur la différence que l’opinion droite aussi porterait en chaque objet ?

THÉÉTÈTE

Il paraît que oui.

SOCRATE

Alors, l’adjonction de la raison à l’opinion droite, qu’est-elle outre cela ? Si, en effet, cela veut dire adjonction d’un jugement sur ce qui distingue un objet des autres, la prescription devient tout à fait ridicule.

THÉÉTÈTE

Comment ?

SOCRATE

C’est que, quand nous avons une opinion droite sur ce qui distingue un objet des autres, c’est nous ordonner de prendre en outre une opinion droite sur ce qui différencie cet objet des autres. À ce compte, tourner la scytale ou le pilon[1] ou tout autre objet proverbial ne signifierait rien auprès de cette injonction. Le mot s’appliquerait mieux au conseil d’un aveugle ; car nous ordonner d’acquérir encore ce que nous avons déjà, afin d’apprendre des choses sur lesquelles notre opinion est faite, c’est être franchement aveugle.

THÉÉTÈTE

Alors dis-moi ce que tu voulais me dire tout à l’heure en m’interrogeant.

SOCRATE

Mon enfant, si par l’adjonction de la raison,

  1. Ces expressions proverbiales s’appliquent à ceux qui font souvent les mêmes choses, sans aboutir à rien.