MI. Vous radotez.
AE. De grâce, cédez, mon père.
MI. Tu es fou. Va te promener.
DE. Allons, accordez cette satisfaction à votre fils.
MI. Mais êtes-vous dans votre bon sens ? Moi, que je me donne les airs d’un nouveau marié à l’âge de soixante-cinq ans, et que j’épouse une vieille édentée ? C’est là ce que vous me conseillez tous deux ?
AE. Rendez-vous, mon père, je le leur ai promis.
MI. Tu l’as promis ? Dispose de toi, mon bel enfant.
DE. (945) Ah !… Et que serait-ce s’il vous demandait quelque chose de plus important ?
MI. Mais ne serait-ce pas le plus grand des sacrifices ?
DE. Cédez donc.
AE. Ne faites pas tant de façons.
DE. Allons, donnez votre parole.
MI. Me laisserez-vous ?
AE. Non, tant que je n’aurai pas gain de cause.
MI. Mais c’est de la violence.
DE. Laissez-vous donc aller, mon frère.
MI. C’est immoral, ridicule, absurde, contraire à mes goûts, je le sais ; mais puisque vous y tenez tant, je me rends.
AE. A la bonne heure. (950) Vous méritez bien tout mon amour.
DE. (à part) Eh ! mais, que vais-je demander encore, puisqu’on en passe par où je veux ?
MI. Eh bien, qu’y a-t-il encore ?
DE. Hégion, leur plus proche parent, devient notre allié ; il est pauvre ; nous devrions lui donner quelque chose.
MI. Quoi donc ?
DE. Vous avez ici près au faubourg un petit coin de terre que vous louez à je ne sais qui : si nous lui en donnions la jouissance ?
MI. Un petit coin de terre, cela ?
DE. Mettons que c’est considérable ; (955) il n’en faut pas moins le lui donner. Il sert de père à la jeune femme ; c’est un honnête homme ; il est notre compère. Le cadeau sera bien placé. En un mot, je vous renvoie, mon frère, cette sage et belle maxime que vous me débitiez tantôt : « Nous autres vieillards, nous avons tous le défaut de tenir trop à l’argent. » Il nous faut éviter ce reproche. Rien de plus vrai ; mettons donc le précepte en pratique.
MI. (960) A quoi bon tout ce discours ? On donnera ce coin de terre, puisqu’Eschine le veut.
AE. Mon père !
DE. A présent vous êtes bien mon frère par cœur comme parle sang.
MI. J’en suis ravi.
DE. (à part) Je lui ai mis son couteau sur gorge.
SCENE IX (Syrus, Déméa, Micion, Eschine)
SY. Vos ordres sont exécutés, Déméa.
DE. Tu es un brave garçon. Je suis d’avis, ma foi, que (965) Syrus a bien mérité aujourd’hui qu’on lui donne la liberté.
MI. La liberté ? à lui ? Qu’a-t-il donc fait ?
DE. Bien des choses.
SY. O mon bon monsieur, vous êtes par ma foi un digne homme. Je vous ai soigné ces deux enfants comme il faut depuis leur naissance ; leçons, conseils, sages préceptes, je leur ai tout donné autant que possible.
DE. Il y paraît. Et tu leur as appris sans doute aussi à faire le marché, (970) à enlever des courtisanes, à festoyer en plein jour : ce sont là des services qu’on ne pourrait pas attendre du premier venu.
SY. Le charmant homme !
DE. Enfin, mon frère, c’est lui qui a poussé ce matin à l’achat de cette chanteuse, lui qui a conclu l’affaire. Il est juste de l’en récompenser ; vos