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Page:Plaute - Comédies, traduction Sommer, 1876, tome 1.djvu/241

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ERGASILE. Je préviens d’avance, pour que personne ne s’expose à être pris. Restez au logis, évitez mes taloches.

HÉGION. Ou je me trompe fort, ou c’est en se garnissant la panse qu’il a pris tant de courage. Je plains l’hôte dont la table l’a rendu si fier.

ERGASILE. Quant aux meuniers éleveurs de truies qu’ils engraissent avec du son, et dont la puanteur empêche de passer devant leur moulin, si j’aperçois dans la rue un seul de leurs élèves, je jouerai si bien du poing, que le maître lui-même rendra gorge de tout le son qu’il a pris.

HÉGION. Il parle en souverain, et quels décrets absolus ! Il est ivre ; toute l’audace de notre homme est dans son estomac.

ERGASILE. Pour les pêcheurs qui vendent au public des poissons pourris, apportés sur de mauvaises rosses anguleuses, et dont l’odeur fait réfugier sur la place tous les flâneurs de la basilique[1], je leur caresserai le mufle avec leurs propres hottes pour leur apprendre à empester le nez des gens. Les bouchers qui arrachent leurs petits aux pauvres brebis, qui promettent de l’agneau à leurs pratiques et leur donnent de la viande de bêtes coriaces, qui font passer du bélier pour du mouton… si je rencontre sur la voie publique un de ces béliers, je l’arrangerai de la bonne manière, lui et son maître.

HÉGION. A merveille ! le digne édile que nous avons là ! Il faut pour le moins que les Étoliens l’aient nommé agoranome[2].

ERGASILE. Je ne suis plus un parasite ; je suis un roi, le roi des rois, tant est riche le convoi de vivres qui entre dans le port par ma bouche. Mais pourquoi différer de combler de joie le bonhomme Hégion ? le voilà devenu le plus fortuné des mortels !

HÉGION. Quelle est cette joie qu’il m’apporte de si bon cœur ?

ERGASILE, frappant à la porte. Holà ! quelqu’un ! Va-t-on ouvrir ?

HÉGION. Le drôle bat en retraite chez moi pour souper.

ERGASILE. Ouvrez à deux battants, si vous ne voulez que je fasse voler la porte en éclats.

HÉGION. J’ai fort envie de lui parler. Ergasile !

ERGASILE. Qui m’appelle ?

HÉGION. Tournez-vous de mon côté.

ERGASILE, sans se retourner. Tu me demandes ce que la For-

  1. Lieu où se rendait la justice.
  2. Magistrat qui avait la police des marchés.