Aller au contenu

Page:Plaute - Comédies, traduction Sommer, 1876, tome 1.djvu/258

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

de notre comédie. En grec, elle s’appelle Cleroumenoi ; en latin, Sortientes[1]. Diphile est l’auteur de la pièce grecque ; Plaute, un nom d’aboyeur[2], l’a transportée en latin.

Dans cette maison demeure un vieux mari ; il a un fils qui habite avec lui. Il a aussi un esclave qui est gisant dans une maladie… mais qu’est-ce donc que je dis ? gisant dans son lit, car il ne faut pas mentir. Cet esclave, voici bientôt seize ans, aperçut au point du jour une petite fille que l’on abandonnait ; aussitôt il aborde la femme qui exposait cette enfant, et la prie de la luidonner ; elle y consent, il ramasse la pauvre créature et l’apporte droit à la maison ; il prie sa maîtresse d’en prendre soin et de l’élever. C’est ce qu’a fait la maîtresse ; elle l’a élevée, pour ainsi dire, avec autant de zèle que si c’eût été sa propre fille. La jeune personne est arrivée à cet âge où l’on commence à plaire aux hommes ; notre barbon et son fils, chacun de son côté, l’aiment à en perdre la tête. Le père et le fils en sont à dresser leurs batteries l’un contre l’autre, sans savoir qu’ils sont rivaux. Le père a poussé son fermier à la demander en mariage ; si on la lui donne, il espère passer hors du logis, à l’insu de sa femme, de joyeuses nuits. Le fils, lui, fait mettre sur les rangs son écuyer ; il sait bien que, si la demande réussit, il tiendra dans son bercail celle qu’il aime. La femme du vieillard s’est aperçue que son mari est amoureux ; aussi favorise-t-elle les projets du fils. Mais le bonhomme, à son tour, a reconnu que son fils était épris de la même femme et lui faisait obstacle ; il l’a donc envoyé en pays étranger. Toutefois, en son absence, sa mère travaille dans son intérêt. Ne vous attendez pas à le voir revenir en ville aujourd’hui : Plaute ne l’a pas voulu ; il a rompu un pont qui se trouvait sur sa route. Mais il me semble entendre quelques-uns d’entre vous chuchoter : « Qu’est-ce que cela signifie ? un mariage entre esclaves ! Comment ! les esclaves se marieront, demanderont une femme en mariage ! Voilà du nouveau ; nulle part cela ne se passe ainsi. » Eh bien ! moi, je vous affirme que cela se fait en Grèce, à Carthage, et même à nos portes, en Apulie. Bien mieux, les noces entre esclaves s’y célèbrent avec plus de pompe que les mariages entre gens de condition libre. Si vous en doutez, gageons ; que l’un de vous mette une amphore de vin miellé, pourvu que notre juge soit un Carthaginois, un Grec, ou, à

  1. Les deux mots veulent dire ceux qui tirent au sort.
  2. Plautus était, selon Festus, le nom des chiens à oreilles pendantes.