Page:Plaute - Comédies, traduction Sommer, 1876, tome 1.djvu/300

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femmes de notre classe soient gentilles entre elles et bonnes filles : vois ces grandes dames, ces matrones de haut parage, comme elles ont de l’amitié les unes pour les autres : nous avons beau faire comme elles, les imiter, nous subsistons à peine et nous sommes fort mal vues. Elles veulent que nous ayons besoin de leur protection. Il leur déplaît que nous puissions quelque chose par nous-mêmes ; il faut qu’en toute occasion nous ayons recours à elles, que nous venions les supplier ; mais allez les trouver, vous entrez, vous voudriez déjà être sorties. En public, elles flattent notre corporation : mais en dessous, si l’occasion se présente, les perfides nous déchirent à belles dents. Elles s’en vont criant que nous vivons avec leurs maris, que nous les débauchons : elles nous mettent sous leurs pieds, parce que nous ne sommes que des affranchies. Ta mère et moi, nous avons été courtisanes ; vous nous êtes nées de l’amour et du hasard, et nous vous avons élevées chacune pour nous. Quant à moi, ce n’est pas par dureté que j’ai fait prendre à ma fille le métier de courtisane, c’est que je ne voulais pas souffrir de la faim.

SILÉNIE. Il aurait mieux valu lui faire épouser quelqu’un.

LA COURTISANE. Eh mais, en vérité, tous les jours elle épouse quelqu’un ; elle a épousé ce matin, elle épousera tantôt ; jamais je ne l’ai laissée coucher veuve. Si elle n’épousait pas, toute la famille périrait misérablement de faim.

GYMNASIE. Il faut bien, ma mère, que je sois comme tu le désires.

LA COURTISANE. Par Castor ! je n’ai pas à me plaindre si tu es telle que tu le dis. Tu n’as qu’à suivre mes conseils, jamais tu ne seras une Hécalé[1] ; tu conserveras toujours cette fleur de jeunesse qui s’épanouit en toi, tu ruineras les gens, et moi, tu m’enrichiras sans qu’il m’en coûte rien.

GYMNASIE. Les dieux le veuillent !

LA COURTISANE. Si tu n’y aides, les dieux ne peuvent rien.

GYMNASIE. Oh ! je ferai tous mes efforts. Mais tandis que nous causons là, qu’as-tu, ma chère petite Silénie ? je ne t’ai jamais vue si triste. Dis-moi, je t’en prie, qu’est devenu ton enjouement ? Tu n’es pas aussi proprette que d’habitude. (À sa mère.) Voyez donc, quel profond soupir… Et tu es pâle. Allons, dis-nous ce que tu as et ce que nous pouvons faire pour toi. Ne m’afflige pas par tes larmes, de grâce, ma chérie.

  1. Vieille pauvresse.