PALESTRION. Toi ?
SCÉLÈDRE. Oui, moi, de mes deux yeux.
PALESTRION. Va, cela n’est pas vraisemblable, tu n’as rien vu.
SCÉLÈDRE. Ai-je donc l’air d’avoir une taie sur l’œil ?
PALESTRION. Demande-le au médecin plutôt qu’à moi. Mais, si les dieux te sont amis, tu ne te chargeras pas légèrement de ce conte : ce serait mettre en grand danger tes jambes et ta tête. Car de deux façons, tu es sûr de périr, si tu ne fais taire ta sotte langue !
SCÉLÈDRE. Comment, de deux façons ?
PALESTRION. Je vais te l’expliquer. D’abord, si tu accuses à tort Philocomasie, tu es perdu. Si le fait est vrai, toi qui étais chargé de la garder, tu es encore perdu.
SCÉLÈDRE. Ce qui m’arrivera, je n’en sais rien ; ce que je sais bien, c’est que j’ai vu la chose.
PALESTRION. Encore, malheureux !
SCÉLÈDRE. Que veux-tu que je te dise, sinon que j’ai vu ? Bien mieux, elle est encore à présent chez le voisin.
PALESTRION. Comment, elle n’est pas chez nous ?
SCÉLÈDRE. Va voir, entre toi-même : car je n’exige pas qu’on me croie.
PALESTRION. C’est ce que je vais faire.
SCÉLÈDRE. Je t’attends ici, et en même temps je guetterai le moment où la génisse reviendra du pâturage à l’étable. (Palestrion entre dans la maison.) Que faire à présent ? Le militaire m’avait chargé de la garder. Si je découvre le pot aux roses, c’est fait de moi ; si je me tais et qu’on vienne à tout savoir, c’est fait de moi encore. Est-il rien de plus malicieux et de plus effronté qu’une femme ? Tandis que je suis sur le toit, elle s’échappe de la maison. Par ma foi, elle a fait là un tour hardi ! Si le militaire l’apprend… par Hercule, je le crois capable de bouleverser toute la maison, et de là à la potence… Ma foi, quoi qu’il arrive, j’aime mieux tenir ma langue que de périr misérablement. Je ne puis garder une femme qui grille de faire des amants.
PALESTRION. Scélèdre, Scélèdre !
SCÉLÈDRE. Qui m’appelle de cette voix menaçante ?
PALESTRION. Y a-t-il un coquin plus audacieux que toi, plus haï et plus détesté des dieux ?
SCÉLÈDRE. Qu’est-ce donc ?
PALESTRION. Ne devrais-tu pas te faire crever ces yeux qui voient ce qui n’est pas ?