Page:Pline l'ancien - Histoire naturelle, Littré, T2 - 1850.djvu/404

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coupes ; pour nous enivrer, nous aimons à tenir dans nos mains les richesses de l’Inde, et l’or n’est plus qu’un accessoire.

III. (I.) Plût aux dieux qu’on pût bannir à jamais de la société cette faim maudite de l’or, pour me servir de l’expression employée par les écrivains les plus célèbres ; l’or, objet des invectives de toutes les nobles âmes ; l’or, découvert pour la perte de l’humanité ! Heureux le siècle où il n’y avait de commerce que de simples échanges en nature ! C’est ce qui se pratiquait du temps de la guerre de Troie, s’il en faut croire Homère. Les besoins de la vie avaient, je pense, amené ce commerce ; aussi Homère (Il., VII, 472) dit-il que les uns faisaient des achats avec des cuirs de bœuf, les autres avec du fer, avec des dépouilles enlevées aux ennemis. Toutefois il est lui-même admirateur de l’or ; et il rapporte, évaluant le prix des objets, que Glaucus échangea des armes d’or valant cent bœufs pour les armes de Diomède, qui n’en valaient que neuf (I1., VI, 234). C’est par le même mode d’évaluation que les amendes portées par les anciennes lois, même à Rome, sont, non pas en argent, mais en bétail.

IV. Celui-là commit le crime le plus funeste à la société, qui mit le premier un anneau d’or à son doigt. Quel fut le coupable, la tradition ne le dit pas ; car je regarde comme fabuleux tout ce qu’on raconte de Prométhée (XXXVII, 1) : je fais que l’antiquité l’a représenté avec un anneau de fer ; mais elle a voulu figurer une chaîne, et non pas un ornement. Quant à l’anneau de Midas, qui, tourné le chaton en dessous rendait invisible, c’est (qui ne le voit ?) un conte encore plus fabuleux. Ce sont donc les mains, et justement les mains gauches, qui ont mis l’or en faveur, non pas du moins les mains romaines, qui portaient pour tout ornement l’anneau de fer, insigne de la vertu guerrière. Il n’est pas facile de dire quel était l’usage suivi par les rois de Rome : la statue de Romulus, au Capitole, n’a pas d’anneau ; les autres statues, même celle de Lucius Brutus, n’en ont pas non plus ; mais on en voit aux statues de Numa et de Servius Tullius. Cette absence d’anneau m’étonne, surtout chez les Tarquins, qui étaient originaires de la Grèce (XXXV, 5) ; or, c’est de la Grèce que vient l’usage des anneaux, quoique encore aujourd’hui, à Lacédémone, on n’en porte que de fer. Cependant Tarquin l’Ancien, cela est constant, est le premier qui donna une bulle d’or, et il la donna à son fils pour avoir tué un ennemi avant d’avoir quitté la robe prétexte : depuis, l’usage s’est établi de donner pour ornement une pareille bulle aux enfants de ceux qui ont servi dans la cavalerie, et une simple courroie aux autres. C’est pour cela que je m’étonne de voir la statue de Tarquin sans anneau. Au reste, je trouve des discussions sur le nom même de l’anneau. Le nom donné par les Grecs est dérivé du doigt (daktulion) ; le nom donné par nos ancêtres, de l’ongle (ungulus) ; depuis, les Grecs et les Latins ont appelé les anneaux symboles. Ce qui est certain, c’est que pendant longtemps, même les sénateurs romains n’eurent point d’anneaux d’or. En effet, l’Etat en donnait seulement à ceux qu’on envoyait en ambassade chez les nations étrangères, probablement parce qu’on remarquait que parmi les étrangers les hommes de grande dignité en portaient. Mais, à moins d’avoir reçu de l’Etat un anneau d’or, ce n’était point l’usage d’en porter, et d’ordinaire on triomphait sans cet ornement : en sorte que le triomphateur, sur la tête de qui on tenait par derrière une couronne étrusque d’or (XXI, 4), n’avait au