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PREMIÈRE ENNÉADE, LIVRE I.

croyances, et partage ses plaisirs, elle est, je pense, forcée de prendre aussi les mêmes mœurs et les mêmes habitudes, tellement qu’il lui est impossible d’arriver jamais pure à l’autre monde ; mais, sortant de cette vie toute pleine encore du corps qu’elle quitte, elle retombe bientôt dans un autre corps[1] et y prend racine, comme une plante dans la terre où elle a été semée ; et ainsi elle est privée du commerce de la pureté et de la simplicité divine. — Il n’est que trop vrai, Socrate, dit Cébès. — Voilà pourquoi, mon cher Cébès, le véritable philosophe s’exerce à la force et à la tempérance, et nullement pour toutes les raisons que s’imagine le peuple. Est-ce que tu penserais comme lui ? — Non pas. — Et tu fais bien. Ces raisons grossières n’entreront pas dans l’âme du véritable philosophe ; elle ne pensera pas que la philosophie doit venir la délivrer, pour qu’après elle s’abandonne aux jouissances et aux souffrances et se laisse enchaîner de nouveau par elles, et que ce soit toujours à recommencer, comme la toile de Pénélope. Au contraire, en se rendant indépendante des passions, en suivant la raison pour guide, en ne se départant jamais de la contemplation de ce qui est vrai, divin, hors du domaine de l’opinion, en se nourrissant de ces contemplations sublimes, elle acquiert la conviction qu’elle doit vivre ainsi tant qu’elle est dans cette vie, et qu’après la mort elle ira se réunir à ce qui lui est semblable et conforme à sa nature et sera délivrée des maux de l’humanité. Avec un tel régime, ô Simmias, ô Cébès, et après l’avoir suivi fidèlement, il n’y a pas de raison pour craindre qu’à la sortie du corps, elle s’envole emportée par les vents, se dissipe et cesse d’être. » (Phédon, t. I, p. 243-247 de la trad. de M. Cousin.)

Plotin s’est encore inspiré de ce morceau de Platon en traitant la quatrième question qui nous reste à examiner : Pourquoi faut-il séparer l’âme du corps ? Selon Plotin, il faut séparer l’âme du corps parce que c’est la descente de l’âme dans le corps qui est l’origine du mal moral :

« Si l’âme ne peut pécher, comment se fait-il qu’elle soit punie ? Cette opinion est en complet désaccord avec la croyance universellement admise que l’âme commet des fautes, qu’elle les expie, qu’elle subit des punitions dans les enfers et qu’elle passe dans de nouveaux corps[2]. Quoiqu’il semble nécessaire d’opter entre ces

  1. Plotin développe cette pensée dans le livre ix de l’Ennéade I, p. 140.
  2. Voy. Platon, Phédon, t. I, p. 241-242 de la trad. de M. Cousin.