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TROISIÈME ENNÉADE.


passion[1]. Si l’on cherchait un exemple d’un autre genre, il serait fort difficile de faire comprendre comment le sujet peut rester le même quand les formes y sont présentes. En cherchant à atteindre le but qu’il poursuivait, Platon a soulevé beaucoup de questions ; il s’est en outre appliqué à faire voir que les objets sensibles sont vides de réalité et que l’apparence occupe en eux une large place[2]. En avançant que c’est par les figures qu’elle revêt que la matière fait pâtir les corps animés, sans éprouver elle-même aucune de ces passions, Platon nous montre sa permanence et son identité ; il veut nous faire conclure de là que la matière ne subit ni passion ni altération en revêtant ces figures. En effet, dans les corps qui prennent successivement différentes figures, on peut, en se fondant sur l’analogie, appeler altération le changement de figures ; mais, puisque la matière n’a ni figure ni étendue[3], comment pourrait-on, même par analogie, appeler altération la présence d’une figure ? Veut-on avoir une règle sûre, ne pas se tromper dans son langage ? on n’a qu’à dire que le sujet ne possède rien de la manière dont on croit qu’il possède. Comment donc possède-t-il les choses qu’il a en lui, si ce n’est pas comme figure ? La proposition de Platon signifie que la matière est impassible et qu’il y a en elle présence apparente d’images qui n’y sont pas réellement présentes.

Mais il est encore nécessaire d’insister préalablement sur

  1. « Ceux qui entreprennent d’imprimer certaines figures sur des substances molles se gardent bien de leur laisser auparavant quelque forme apparente, mais ont grand soin de commencer par les polir autant qu’il est possible. Il convient donc également que cette chose, pour bien recevoir dans toute son étendue les images des êtres éternels, soit par sa nature en dehors de toutes les formes. » (Platon, Timée, p. 51 ; trad. de M. H. Martin, p. 136.)
  2. τὸ δ’ ἐν τοῖς αἰσθητοῖς ϰενὸν τῆς ὑποστάσεως ϰαὶ τὴν χώραν τοῦ εἰϰότος οὖσαν πολλήν. Voy. ci-dessus p. 150, note 1.
  3. Voy. Enn. II, liv. IV, § 11 ; t. I, p. 211.