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QUATRIÈME ENNÉADE.


doigt par exemple, éprouverait les affections qui lui sont propres, en restant étrangère à tout le reste et demeurant en elle-même ; en un mot, il y aurait dans chacun de nous plusieurs âmes qui administreraient[1]. De même, dans cet univers, il y aurait non une seule âme [l’Âme universelle], mais un nombre infini d’âmes séparées les unes des autres.

Recourra-t-on à la continuité des parties (συνεχεία) pour expliquer la sympathie qui unit les organes les uns avec les autres ? Cette hypothèse est vaine, à moins que la continuité n’aboutisse à l’unité. Car on ne peut admettre, avec certains philosophes qui se trompent eux-mêmes, que les sensations arrivent au principe dirigeant (τὸ ἡγεμονοῦν)[2] par transmission de proche en proche (διαδόσει). D’abord, c’est chose inconsidérée que d’avancer qu’il y a dans l’âme une partie dirigeante. Comment, en effet, diviser l’âme et y distinguer telle partie et telle autre ? Quant à la partie dirigeante, par quelle supériorité, soit de quantité, soit de qualité, la distinguer dans une masse une et continue ? D’ailleurs, dans cette hypothèse, qui sentira ? Sera-ce la partie dirigeante seule, ou bien les autres parties avec elle ? Si c’est elle seule, elle ne sentira qu’autant que l’impression reçue lui aura été transmise à elle-même, dans le lieu où elle réside ; mais si l’impression vient à tomber sur quelque

  1. διοιϰοῦσαι : c’est un terme emprunté aux Stoïciens. Cicéron le rend par administrare, dans le De natura Deorum, II, 31, 32, 33.
  2. συνεχεία et τὸ ἡγεμονοῦν sont encore des termes propres aux Stoïciens : οἱ Στωιϰοί φασιν εῖναι τῆς ψυχῆς τὸ ἡγεμονιϰὸν τὸ ποιοῦν τὰς φαντασίας, ϰαὶ τὰς συγϰαταθέσεις ϰαὶ αἰσθήσεις ϰαὶ ὁρμὰς, ϰαὶ τοῦτο λογισμὸν ϰαλοῦσιν, ϰ. τ. λ. (Plutarque, de Placitis phil., IV, 21 Principatum id dico, quod Graeci vocant. » (Cicéron, De natura Deorum, II, 11.) Ce terme de ἡγεμονιϰὸν fut d’ailleurs emprunté à Platon par les Stoïciens : θεῖον λεγόμενον ἡγεμονοῦν τε (Timée, p. 41). La réfutation que Plotin fait ensuite de la doctrine des Stoïciens sur la transmission de proche en proche, διάδοσις, doit être rapprochée de celle qui se trouve plus loin, dans le livre VII, § 6, 7.