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LIVRE TROISIÈME.


choses intelligibles appartienne à l’une, et celui des choses sensibles à l’autre ; sinon ce seraient deux êtres animés n’ayant rien de commun ensemble). Si donc le souvenir appartient également aux deux imaginations, quelle différence y a-t-il entre elles ? Ensuite, comment ne remarquons-nous pas cette différence ? En voici la cause.

Quand les deux espèces d’imagination sont d’accord, elles concourent [à produire un seul acte] : la plus puissante domine, et il ne se produit en nous qu’une seule image ; la seconde accompagne la première ; c’est le faible reflet d’une puissante lumière. Quand les deux espèces d’imagination sont au contraire en désaccord et luttent ensemble, alors l’une se manifeste seule, et nous ignorons ce qui est dans l’autre, comme nous ignorons complètement que nous avons deux âmes : car les deux âmes sont fondues en une seule, et l’une sert de véhicule à l’autre. L’une voit tout, mais elle ne garde que certains souvenirs quand elle sort du corps et elle laisse tomber dans l’oubli la plupart des choses qui se rapportent à l’autre. De même, quand, après nous être liés avec des amis d’un ordre inférieur, nous en avons acquis d’autres plus distingués, nous nous souvenons fort peu des premiers et beaucoup des seconds.

XXXII. Que dirons-nous du souvenir des amis, des parents, d’une épouse, de la patrie et de tout ce qu’un homme vertueux peut se rappeler convenablement ?

Dans l’image de l’âme [l’âme irraisonnable] ces souvenirs seront accompagnés d’une affection passive ; mais dans l’homme [l’âme raisonnable] ils n’en seront pas accompagnés : car les affections existent dès le principe dans l’âme inférieure ; dans l’âme supérieure, par suite de son commerce avec l’autre, il y a aussi quelques affections, mais seulement des affections honnêtes. Il convient à l’âme inférieure de chercher à se rappeler les actes de l’âme supérieure, surtout quand elle a été elle-même convenablement cultivée : car elle peut devenir meilleure dès le principe et se former