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QUATRIÈME ENNÉADE.


monde connaît l’avenir avec une sagesse aussi immuable que le présent, c’est-à-dire, sans raisonner[1]. Si elle ne connaissait pas les choses futures qu’elle doit produire[2], elle ne saurait pas les produire, elles les produirait sans règle, accidentellement, c’est-à-dire par hasard. Elle reste donc immuable en produisant ; par conséquent, elle produit sans changer, autant du moins que le lui permet le modèle (παράδειγμα) qu’elle porte en elle ; son action est donc uniforme, toujours la même ; sinon, l’Âme pourrait se tromper. Si son œuvre contient des différences. elle ne les tient pas d’elle-même, mais des raisons [séminales], qui procèdent elles-mêmes du principe créateur. Ainsi, les choses créées dépendent de la série des raisons, et le principe créateur n’est pas obligé d’hésiter, de délibérer, ni de supporter un travail pénible, ainsi que l’ont cru quelques philosophes qui regardaient comme une tâche fatigante d’administrer l’univers[3]. Ce qui est une tâche fatigante, c’est de manier une matière étrangère, c’est-à-dire, dont on n’est pas maître. Mais, quand une puissance domine

  1. Ici encore Plotin est d’accord avec saint Augustin sur la prescience divine : « Ce n’est pas que la science de Dieu éprouve aucune variation et qu’il connaisse de plusieurs façons diverses ce qui est, ce qui a été et ce qui sera. La connaissance qu’il a du présent, du passé et de l’avenir n’a rien de commun avec la nôtre. Prévoir, voir, revoir. pour lui c’est tout un. Il ne passe pas comme nous d’une chose à une autre en changeant de pensée. mais il contemple toutes choses d’un regard immuable. Ce qui est actuellement, ce qui n’est pas encore, ce qui n’est plus, sa présence stable et éternelle embrasse tout… Car il ne passe point d’une pensée à une autre, lui dont le regard incorporel embrasse tous les objets comme simultanés. Il connaît le temps d’une connaissance indépendante du temps, comme il meut les choses temporelles sans subir aucun mouvement temporel. » (Cité de Dieu, XI, 21 ; t. II, p. 299 de la trad. de M. Saisset.)
  2. Voy. le passage du Timée cité ci-dessus, p. 240, note 1.
  3. Épicure disait : « Quod æternum beatumque sit, id nec habere ipsum negotii quidquam, nec exhibere alicui. » (Cicéron, De natura Deorum, I, 17.)