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LIVRE QUATRIÈME.


Mais Platon dit que « le ciel n’a pas besoin d’yeux[1]. » Sans doute le ciel n’a rien à voir hors de lui, et par conséquent n’a pas besoin d’avoir des yeux comme nous ; mais il a en lui-même quelque chose à contempler : il peut se voir lui-même. Si l’on objecte qu’il lui est inutile de se voir, nous répondrons qu’il n’a pas été fait principalement dans ce but, et que, s’il se voit lui-même, c’est seulement une conséquence nécessaire de sa constitution naturelle. Rien n’empêche donc qu’il ne voie, puisqu’il est un corps diaphane.

XXV. Il semble que, pour voir et en général pour sentir, il ne suffit pas que l’âme possède les organes nécessaires ; il faut encore qu’elle soit disposée à accorder son attention aux choses sensibles. Mais il convient à l’Âme universelle d’être toujours appliquée à la contemplation des intelligibles, et, de ce qu’elle possédera faculté de sentir, il ne s’ensuit pas qu’elle l’exerce, parce qu’elle est tout entière à des objets d’une nature plus relevée. C’est ainsi que nous-mêmes, quand nous nous appliquons à la contemplation des intelligibles, nous ne remarquons ni les sensations de la vue, ni celles des autres sens ; et, en général, l’attention que nous accordons à une chose nous empêche de voir les autres. Vouloir percevoir une de ses parties par une autre, par exemple, se regarder soi-même, est, même en nous, une action superflue et vaine, si elle n’a un but. Contempler une chose extérieure parce qu’elle est belle, c’est encore le propre d’un être imparfait et sujet à pâtir. On a donc le droit de dire que, si sentir, entendre, goûter les saveurs, sont des distractions de l’âme qui s’attache aux objets extérieurs, le soleil et les autres astres ne peuvent voir et

  1. « Dieu a poli exactement le contour extérieur du monde. pour plusieurs motifs. En effet, le monde n’avait nullement besoin d’yeux, puisqu’il ne restait rien de visible hors de lui-même, ni d’oreilles, puisqu’il n’y avait rien à entendre. » (Platon, Timée, p. 33 ; trad. de M. H. Martin, p. 93.)