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NOTES ET ÉCLAIRCISSEMENTS.


Comme, dans cet écrit, Boëce reproduit textuellement les définitions que Plotin donne du Temps et de l’Éternité, ainsi que sa polémique contre la fausse théorie que les Stoïciens professaient sur la sensation (Voy. ci-après, livre VI), on ne saurait s’étonner que, spécialement sur la question de la Providence et du Destin, il soit aussi, dans son argumentation, complètement d’accord avec notre auteur sur une foule de points. Laissant de côté les idées qu’on pourrait croire puisées à une source commune, nous nous bornerons à citer ici un passage d’une importance capitale, où Boëce expose une théorie qui est essentiellement propre à Plotin, savoir, la distinction de la Providence et du Destin, et la subordination du second à la première :

«  Au premier coup d’œil, la Providence et le Destin semblent être une même chose, mais à les approfondir on en sent la différence : car la Providence est la Raison divine elle-même, subsistant dans le Principe suprême, laquelle ordonne tout ; et le Destin est l’ordre inhérent aux choses muables, par lequel elle les met chacune à sa place. La Providence en effet embrasse à la fois toutes les choses de ce monde, quelque différentes, quelque innombrables qu’elles soient, et le Destin les réalise successivement sous des formes diverses, dans des temps et des lieux différents[1]. Ainsi, cet ordre des choses et des temps, réuni dans la pensée de Dieu, est ce qu’on doit appeler Providence ; et quand on le considère divisé et développé dans le cours des temps, c’est ce qu’on a nommé Destin[2]. Ces deux choses sont donc différentes. L’une cependant dépend de l’autre : car l’ordre des destinées procède de la pensée souverainement simple de la Providence. En effet, comme un ouvrier, en concevant l’idée de l’ouvrage qu’il projette, l’embrasse d’un seul coup d’œil tout entier, quoiqu’il ne l’exécute ensuite que successivement ; de

  1. « La Providence descend du commencement à la fin, en communiquant ses dons, non d’après la loi d’une égalité numérique, mais d’après celle d’une égalité de proportion, variant ses œuvres selon les lieux… Mais toutes choses forment une unité, se rapportent à une seule Providence, en sorte que le Destin gouverne ce qui est en bas, et la Providence règne dans ce qui est en haut, etc. » (Plotin, Enn. III, liv. V, § 5 ; p. 80.)
  2. « La Nature forme avec un art admirable tous les êtres à l’image des raisons qu’elle possède : dans chacune de ses œuvres la raison séminale unie à la matière, étant l’image de la raison supérieure à la matière [c’est-à-dire l’image de l’idée] se rattache à la Divinité [à l’Intelligence suprême] d’après laquelle elle a été engendrée et que l’Âme universelle a contemplée pour créer, etc. » (Enn. IV, liv. III, § 11, p. 288.)