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TRAITÉ DE L’ÂME.


elle n’avait pas elle-même une nature divine ? Que l’on considère l’âme en effet : elle est enfouie dans un corps mortel, dissoluble, dépourvu d’intelligence, qui n’est qu’un cadavre par lui-même, qui sans cesse tend à s’altérer, à se diviser et à périr ; cependant elle le façonne et elle en tient les parties liées ensemble[1] ; elle montre qu’elle a une essence divine, quoiqu’elle soit gênée et entravée par cette enveloppe mortelle[2] ; que serait-ce donc si, par la pensée, on séparait cet or de la terre qui le couvre[3] ? L’âme ne montrerait-elle pas alors clairement que son essence ne ressemble qu’à celle de Dieu ? Par ce fait que, même dans son existence terrestre, elle participe à la nature de la divinité, qu’elle continue de l’imiter par ses actes, qu’elle n’est pas dissoute par l’enveloppe mortelle dans laquelle elle se trouve emprisonnée, ne fait-elle pas voir qu’elle est à l’abri de la destruction ?

IV. L’âme paraît divine par la ressemblance qu’elle a avec l’être qui est indivisible ; et mortelle, par ses points de contact avec la nature périssable. Selon qu’elle descend ou qu’elle remonte, elle a l’air d’être mortelle ou immortelle. D’un côté, il y a l’homme qui n’a d’autre occupation que la bonne chère, comme les brutes. D’un autre côté, il y a l’homme qui, par son talent, sauve le navire dans la tempête, ou rend la santé la ses semblables, ou découvre la vérité, ou trouve la méthode qui convient à la science, ou invente des signaux de feu, ou tire des horoscopes, ou, par des machines, imite les œuvres du créateur. L’homme n’a-t-il pas en effet imaginé de représenter ici-bas le cours des sept planètes, en imitant par des mouvements mécaniques les phénomènes célestes[4] ? Que n’a pas inventé l’homme en manifestant l’intelligence divine qu’il renferme en lui-même ? Certes, celle-ci prouve bien par ses conceptions hardies qu’elle est véritablement olympienne, divine, et tout à fait étrangère à la condition mortelle ; cependant, par suite de son attachement pour les choses terrestres, attachement qui le rend incapable de reconnaître cette intelligence, le vulgaire, la jugeant d’après les apparences extérieures, s’est persuadé qu’elle est mortelle. Les gens de cette espèce n’ont en effet qu’un moyen de se consoler de leur abrutissement, c’est de se fonder sur les apparences extérieures pour attribuer aux autres la même bassesse, et de se persuader ainsi que tous les hommes sont semblables à l’intérieur comme à l’extérieur.

  1. Voy. Plotin, Enn. IV, liv. VII, § 3, no 5.
  2. Voy. Plotin, Enn. IV, liv. VIII, § 1.
  3. Voy. Plotin, Enn. IV, liv. VII, § 10, fin.
  4. Porphyre fait ici allusion à la sphère d’Archimède.