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CINQUIÈME ENNÉADE.


saurait ni changer ni manquer de rien : car les êtres qui ne manquent de rien ne le doivent qu’à lui seul.

XI. Le premier principe est infini parce qu’il est un et que rien en lui ne saurait être limité par quoi que ce soit. Étant un, il n’est pas soumis à la mesure ni au nombre. Il n’est donc borné ni par autrui ni par lui-même, puisque de cette manière il serait double. Il n’a par conséquent point de figure, puisqu’il n’a ni parties ni forme. Ne cherche donc pas à saisir par des yeux mortels ce principe tel que le conçoit la raison. Ne t’imagine pas qu’on puisse le voir, de la manière dont se le figurerait un homme qui croirait que tout est perçu par les sens et anéantirait ainsi le principe qui est la suprême réalité (τὸ μάλιστα πάντων (to palista pantôn)). Les choses auxquelles le vulgaire attribue la réalité ne la possèdent pas[1] : car ce qui est étendu a moins de réalité [que ce qui n’est pas étendu] ; or, le Premier est le principe de l’existence et est supérieur même à l’essence. Il te faut donc admettre le contraire de ce qu’admet le vulgaire ; sinon, tu seras privé de Dieu. Tu ressembleras à ces hommes qui, dans les fêtes sacrées, se gorgent d’aliments dont on doit s’abstenir quand on s’approche des dieux, et qui, regardant cette jouissance comme plus certaine que la contemplation de la divinité dont on célèbre la fête, s’en vont sans avoir participé aux mystères. En effet, comme la divinité ne se fait pas voir à eux dans ces mystères, ces hommes grossiers doutent de son existence, parce qu’ils ne regardent comme réel que ce qu’on voit avec les yeux du corps. C’est ainsi que des gens qui passeraient toute leur vie dans le sommeil regarderaient comme certaines et réelles les

  1. Le P. Thomassin cite ce passage en ces termes : « Naturarum materialium et corporearum penitissime inspexerat angustias Plotinus, quum scripsit, quo majora sunt corpora, eo minus minusque quodammodo esse. » (Dogmata theologica, I, p. 196.) Voy. aussi Enn. VI, liv. V, § 1.