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LIVRE NEUVIÈME.


l’intelligence ne font concevoir rien de sensible. En tant qu’elles sont des notions scientifiques, elles sont les choses mêmes dont elles sont les conceptions : elles offrent l’union intime de l’intelligence et de la pensée. L’Intelligence intérieure (ὁ νοῦς ἔνδον (ho nous endon)), qui est les essences premières, se possède elle-même intimement, habite en elle-même de toute éternité, enfin est un acte : elle ne promène pas ses regards hors d’elle, parce qu’elle possède tout en elle-même ; elle n’acquiert pas, ne raisonne pas pour trouver des choses qui ne lui seraient pas présentes. Ce sont là des opérations propres à l’âme ; l’intelligence, demeurant fixée en elle-même, est toutes choses simultanément ; ce n’est cependant pas la pensée qui fait subsister chacune d’elles : ce n’est pas parce que l’intelligence a pensé Dieu ou le mouvement, par exemple, que Dieu ou le mouvement existent[1]. Quand on dit que les pensées (νοήσεις (noêseis)) sont les formes (εἴδη (eidê)), on se trompe si l’on entend par là que l’intelligible n’existe que parce que l’intelligence le pense ; au contraire, c’est seulement parce que l’intelligible existe que l’intelligence peut penser. Sinon, comment arriverait-elle à le penser ? Elle ne peut le rencontrer par hasard, ni se consumer en efforts stériles.

VIII. Puisque La pensée (νόησις (noêsis)) est une chose essentiellement une[2], la forme (εἶδος (eidos)), qui est l’objet de la pensée, et l’idée (ἴδεα (idea)), sont une seule et même chose. Quelle est cette chose ? l’intelligence et l’essence intellectuelle : car aucune idée n’est étrangère à l’intelligence ; chaque forme est intelligence, et l’Intelligence tout entière est toutes les formes ; chaque forme particulière est une intelligence particulière. De même la science, prise dans sa totalité, est toutes les notions qu’elle embrasse ; chaque notion est une partie de la science totale ; elle n’en est point séparée

  1. Voy. ci-dessus liv. I, § 4, p. 11.
  2. Nous lisons avec Creuzer et Taylor ἓν ὄντως (hen ontôs), au lieu de ἐνόντος (enontos), leçon suivie par Ficin.