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SIXIÈME ENNÉADE.

que l’infini possède par lui-même aucune autre des choses qu’on peut nommer : ainsi l’infini ne saurait ni se mouvoir ni demeurer. Où demeurerait-il en effet, puisque le lieu qu’on désigne par le mot est postérieur à l’infini ? Si l’on attribue le mouvement à l’infini, c’est pour faire entendre que l’infini ne demeure pas. — Faut-il croire que l’infini est élevé dans un seul et même lieu, ou bien qu’il s’élève là-haut et descend ici-bas ? — Non : car c’est par rapport à un seul et même lieu que l’on s’imagine ce qui est élevé et ne descend pas[1], aussi bien que ce qui descend[2].

Comment donc peut-on concevoir l’infini ? — C’est en faisant par la pensée abstraction de la forme. — Que concevra-t-on alors ? — On concevra que l’infini est les contraires à la fois et qu’il n’est pas les contraires. On concevra qu’il est à la fois grand et petit : car l’infini devient les deux[3]. On le concevra aussi comme étant mû et comme étant stable[4] : car l’infini devient encore ces deux choses. Mais avant que l’infini devienne ces contraires, il n’est aucun des deux d’une manière déterminée ; sinon, c’est que vous l’auriez déterminé. En vertu de sa nature, l’infini est donc ces choses d’une manière indéterminée, infinie ; c’est à cette condition seulement qu’il paraîtra être les contraires. Si, appliquant votre pensée à l’infini, vous ne l’enlacez pas dans une détermination comme dans un filet, vous verrez l’infini vous échapper et vous ne trouverez en lui rien qui soit un : sinon, c’est que vous l’auriez déterminé. Si vous vous représentez l’infini comme un, il vous appa-

  1. Nous retranchons ici avec M. Kirchhoff les mots πρὸς τὸν αυτὸν τόπον (pros ton auton topon), dont la répétition n’a point de sens.
  2. Voy. ci-dessus le livre III, § 13, p. 273.
  3. « Tout ce qui nous paraîtra devenir plus et moins, recevoir le fort et le doucement, et encore le trop et les qualités semblables, il nous faut le rassembler en quelque sorte en un, et le ranger dans l’espèce de l’infini. » (Platon, Philèbe, trad. de M. Cousin, t. II, p. 328.) Voy. aussi l’Enn. II, liv. IV, § 11, t. II, p. 213.
  4. Voy. ci-dessus le livre III, § 27, p. 301.