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LIVRE SIXIÈME.

tice : elle est une certaine disposition de l’Intelligence, ou plutôt elle est un acte d’une nature déterminée. La face de la Justice est plus belle que l’étoile du soir et que celle du matin et que toute beauté visible[1]. On peut donc se figurer la Justice comme une statue intellectuelle, qui est sortie d’elle-même et s’est manifestée telle qu’elle est en elle-même, ou plutôt qui subsiste essentiellement en elle-même.

VII. Il faut en effet concevoir les intelligibles subsistant dans une Essence unique, et une Essence unique possédant et embrassant toutes les essences[2]. Là, chaque chose n’est pas séparée des autres (comme dans le monde sensible, où le soleil, la lune et tous les autres objets occupent chacun un lieu différent), mais toutes choses existent ensemble dans l’unité : telle est la nature de l’Intelligence. L’Âme [universelle] l’imite sous ce rapport, comme le fait aussi la puissance appelée la Nature, conformément à laquelle et par la vertu de laquelle les individus sont engendrés chacun dans un lieu différent, tandis qu’elle demeure en elle-même. Mais, quoique toutes choses existent ensemble [dans l’unité de l’Intelligence], chacune d’elles n’en est pas moins distincte des autres. Or, ces choses qui subsistent dans l'Intelligence et l’Essence, l’Intelligence qui les possède les voit en elle-même, non parce qu’elle les considère, mais parce qu’elle les possède sans avoir besoin de les distinguer les unes des autres : car elles sont distinctes en elle de toute éternité. Nous croyons à l’existence de ces choses sur la foi de ceux qui les admirent parce qu’ils y ont participé. Quant à la grandeur et à la beauté du monde intelligible, nous en pouvons juger par l’amour que l’âme éprouve pour lui ; et si les autres choses éprouvent de l’amour pour l’âme, c’est

  1. Voy. la même comparaison Enn. I, liv. VI, § 4 ; t. I, p. 104. En comparant les textes de ces deux passages, M. Kirchhoff propose de lire οὔτε ἕσπερος [οὐθ’ ἑῷς οὕτω ϰαλὰ] οἰδ’ ὁλως τι τῶν αἰσθητῶν (oute hesperos [outh’ heôos outô kala] oid holôs ti tôn aisthêtôn). Nous avons adopté cette correction.
  2. Ficin parait avoir lu πάντα πανταχοῦ (panta pantachou) ; il traduit omnia ubique.