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LIVRE SIXIÈME.

ou même d’une pierre ? Évidemment, autre chose est l’homme visible, autre chose l’un, qu’on ne saurait identifier avec lui [comme on le prétend[1]] : sans cela, l’entendement n’affirmerait pas l’un du non-homme. Ensuite, de même que pour le côté droit et les autres choses semblables l’entendement n’opère pas sur le vide, mais voit une différence de position quand il nous dit que tel objet est ici et que tel autre est là[2] ; de même, il voit aussi quelque chose quand il dit qu’un objet est un : car il n’éprouve point là une affection qui soit vaine, et il n’affirme pas l’un sans fondement. Il ne faut pas croire que l’entendement dise que l’objet est un parce qu’il voit qu’il est seul et qu’il n’y en a pas un autre : car, en disant qu’il n’y en a pas un autre, l’entendement affirme implicitement que l’autre est un. Ensuite, les notions d’autre et de différent sont des notions postérieures à celle de l’un : si l’entendement ne s’élevait pas à l’un, il n’affirmerait point l’autre ni le différent ; quand il affirme qu’un objet est seul, il dit : Il y a un seul objet ; il affirme donc un avant seul. En outre, l’entendement qui affirme est lui-même un être un avant d’affirmer l’un d’un autre être, et l’être dont il parle est également un avant que l’entendement affirme ou conçoive quelque chose sur lui. Il faut que cet être soit un ou plusieurs : s’il est plusieurs, l’un est nécessairement antérieur, puisque, quand l’entendement affirme qu’il y a pluralité, il affirme évidemment qu’il y a plus d’un ; de même, quand il dit qu’une armée est une multitude, il conçoit les soldats ordonnés en un corps. Par ce dernier exemple, on voit que l’entendement [en disant un corps] ne laisse pas la multitude rester multitude, et qu’il manifeste ainsi l’existence de l’un : car, soit en donnant[3] à la multitude l’un

  1. Voy. le passage d’Aristote cité ci-dessus, p. 385, note 1.
  2. Voy. ci-dessus liv. I, § 7, p. 162.
  3. Nous lisons avec Creuzer et avec Kirchhoff ἡ διδοῦσα τὸ ἕν (hê didousa to hen), au lieu de οὐ διδοῦσα (ou didousa), qui ne nous paraît pas donner un sens satisfaisant.