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SIXIÈME ENNÉADE.

[or elle ne saurait le vouloir ;] car tout être recherche son bien[1]. Peut-être la matière ne souhaiterait-elle pas d’être matière, mais simplement d’être ; possédant ainsi l’être, elle voudrait s’affranchir de ce qu’il y a de mauvais en elle. Mais comment ce qui est le mal [car telle est la nature de la matière[2]] pourrait-il avoir le désir du bien ? Au reste, nous n’attribuons pas le désir à la matière même. C’était seulement pour le besoin de la discussion que par hypothèse nous accordions la sensibilité à la matière, si l’on peut toutefois raccorder à la matière en lui conservant sa nature. Nous avons montré du moins que lorsque la forme est venue, comme un rêve du bien[3], s’unir à la matière, celle-ci s’est trouvée dans une meilleure condition. Si la matière est le mal, nous venons de dire ce qui a lieu.

Si la matière était autre chose, la méchanceté[4], par exemple, et que l’essence de la matière reçût la sensibilité, l’intimité avec ce qui est meilleur serait-elle encore le bien de la matière ? — Mais ce n’était pas la méchanceté même de la matière qui choisissait le bien, c’était ce qui était devenu mauvais dans la matière, Si l’essence de la matière était identique au mal, comment la matière souhaiterait-elle posséder ce bien ? Est-ce que, si le mal avait le sentiment de lui-même, il s’aimerait ? Mais comment ce qui n’est pas aimable serait-il aimé ? Car nous avons établi que le bien ne consiste pas pour un être dans ce qui lui est propre. En voici assez sur ce point.

Mais si le bien est partout une forme, si, à mesure que l’on monte [dans l’échelle des êtres], il y a progression dans la forme (car l’âme est plus forme que la forme du

  1. Nous lisons avec Kirchhoff : τὸ ἀγαθὸν ἑαυτῶ (to agathon heautô).
  2. Voy. Enn. I, liv. VIII, § 5 ; t. I, p. 124.
  3. Cette expression rappelle une autre expression analogue employée par Platon dans le Timée (p. 52, éd. H. Étienne) : « Cette troisième espèce est à peine connue d’une manière certaine ; nous ne faisons que l’entrevoir comme dans un songe. »
  4. Voy. Enn. I, liv. VIII, § 8 ; t. I, p. 189.