Page:Plotin - Ennéades, t. III.djvu/540

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.
479
LIVRE SEPTIÈME.

toute la science qui l’a conduit jusque-là : édifié dans le Beau, il pense, tant qu’il ne va pas au delà de l’essence dans laquelle il se trouve. Mais là, soulevé en quelque sorte par le flot même de l’intelligence, et emporté par la vague qui se gonfle, il voit tout à coup, sans savoir comment. La contemplation qui remplit ses yeux de lumière ne lui fait pas voir une chose extérieure ; c’est la lumière même qu’il voit. Il n’y a pas là d’un côté la lumière, de l’autre l’objet visible ; il n’y a pas non plus, d’un côté, l’intelligence, et, de l’autre, l’intelligible ; il n’y a que la clarté qui engendre postérieurement ces choses, et leur permet de subsister dans son sein. Pour Dieu, il est seulement la clarté qui engendre l’Intelligence, qui ne se consume pas en engendrant et demeure en soi. Cette clarté est, et par cela seul naît une autre chose. Si cette clarté n’était pas telle, cette autre chose ne subsisterait pas.

XXXVII. Ceux qui ont attribué la pensée au Premier principe ne lui ont pas attribué du moins la pensée des choses qui lui sont inférieures ou qui procèdent de lui[1] ; cependant

  1. Cette discussion est dirigée contre Aristote : « L’Intelligence est, ce semble, la plus divine des choses que nous connaissons. Mais pour être telle en effet, quel doit être son état habituel ? Il y a là des difficultés. SI elle ne pensait rien, si elle était comme un homme endormi, où serait sa dignité ? Et si elle pense, mais que sa pensée dépende d’un autre principe, son essence n’étant plus alors la pensée, mais un simple pouvoir de penser, elle ne saurait être l’essence la meilleure : car ce qui lui donne son prix, c’est le penser. Enfin, que son essence soit l’intelligence, ou qu’elle soit la pensée, que pense-t-elle ? car, ou elle se pense elle-même, ou bien elle pense quelque autre objet. Et si elle pense un autre objet, ou c’est toujours le même, ou son objet varie. Importe-t-il donc, oui ou non, que l’objet de la pensée soit le Bien, ou la première chose venue ? ou plutôt ne serait-il pas absurde que telles et telles choses fussent l’objet de sa pensée ? Ainsi il est clair qu’elle pense ce qu’il y a de plus divin et de plus excellent, et qu’elle ne change pas d’objet. » (Métaphysique, liv. XII, chap. 9 ; trad. de MM. Pierron et Zévort, t. II, p. 233.) Voy. encore ci-dessus Enn. V, liv. I, § 9 ; p. 21.