Page:Plotin - Ennéades, t. III.djvu/541

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.
480
SIXIÈME ENNÉADE.

quelques-uns ont prétendu qu’il est absurde de croire que Dieu ne connaisse pas les autres choses. Quant aux premiers, ne trouvant rien de plus grand que le Bien, ils lui ont attribué la pensée de soi-même[1], comme si celle-ci pouvait ajouter à sa majesté, comme si penser valait mieux pour lui qu’être ce qu’il est, comme si ce n’était pas le Bien lui-même qui donne à l’Intelligence sa majesté. De qui donc le Bien tiendra-t-il sa grandeur ? Sera-ce de la pensée, sera-ce de lui-même ? S’il la tient de la pensée[2], il n’est pas grand par lui-même, ou du moins il n’est plus souverainement grand. S’il tient sa grandeur de lui-même, il est parfait antérieurement à la pensée, et ce n’est pas la pensée qui le rend parfait. Doit-il penser parce qu’il est acte et non simple puissance[3] ? S’il est une essence qui pense toujours et que ce soit là ce qu’on entend par acte[4], on attribue au Bien deux choses à la fois, l’essence et la pensée ; au lieu de le reconnaître pour un principe simple, on lui ajoute quelque chose d’étranger, comme on ajoute aux yeux la vue en

  1. « La pensée en soi est la pensée de ce qui est en soi le meilleur, et la pensée par excellence est la pensée de ce qui est le Bien par excellence, etc. » (Aristote, Métaphysique, liv. XII, chap. 7 ; trad. fr., p. 223.)
  2. « La contemplation est la jouissance suprême et le souverain bonheur. Si Dieu jouit éternellement de cette félicité que nous ne connaissons que par instants, il est digne de notre admiration, etc. » (Aristote, ibid.)
  3. « Il y a donc identité entre l’intelligence et l’intelligible : car la faculté de percevoir l’intelligible et l’essence, voilà l’intelligence ; et l’actualité de l’intelligence, c’est la possession de l’intelligible... La vie est en Dieu : car l’action de l’intelligence est une vie, et Dieu est l’actualité même de l’intelligence ; cette actualité prise en soi, telle est sa vie parfaite et éternelle. Aussi appelons-nous Dieu un animal éternel, parfait. La vie et la durée continue et éternelle appartiennent donc à Dieu : car cela même, c’est Dieu. » (Aristote, ibid.)
  4. « La pensée éternelle, qui saisit aussi son objet [le Bien] dans un instant indivisible, se pense elle-même durant toute l’éternité. » (Aristote, Métaphysique, liv. XII, chap. 9 ; trad. fr., t. II, p. 235.)