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SIXIÈME ENNÉADE.

Or, en se pensant, elle devient multiple, elle devient objet intelligible et sujet intelligent, mouvement[1] et toutes les choses qui sont le partage de l’Intelligence. En outre, il faut remarquer, comme nous l’avons fait ailleurs, que toute pensée, pour être pensée, doit offrir une variété[2] ; mais [en Dieu] ce mouvement simple et identique, qu’on peut comparer à une espèce de tact (οἶον ἐπαφὴ (oion epaphê)), n’a rien d’un acte intellectuel [il ne faut donc pas attribuer à Dieu la pensée]. — Quoi ! Dieu ne connaîtra ni les autres ni lui-même, et il demeurera immobile dans sa majesté ? — [Oui, sans doute.] Toutes choses sont après lui ; il était ce qu’il est avant elles. La pensée de ces choses est adventice, n’est pas toujours la même, ne s’applique pas à des objets permanents ; et, s’appliquât-elle à des objets permanents, elle serait encore multiple : car on ne saurait admettre que dans les êtres inférieurs la pensée fût jointe à l’essence, tandis que les pensées de l’Intelligence ne seraient que des notions vides. Pour l’existence de la Providence, il suffit que Dieu soit celui dont procèdent tous les êtres. Quant aux êtres qui se rapportent à lui, comment Dieu pourrait-il les penser, puisqu’il ne se pense pas lui-même, qu’il demeure immobile dans sa majesté ? C’est pourquoi Platon dit, en parlant de l’Essence, qu’elle pense, mais qu’elle ne demeure pas immobile dans sa majesté[3]. Il veut faire entendre par là que l’Essence pense, sans doute, mais que ce qui ne pense pas demeure immobile dans sa majesté, expression qu’il emploie dans l’impossibilité où il est de rendre autrement sa conception. Ainsi Platon regarde comme possédant plus de majesté, comme possédant la majesté souveraine, le principe qui est supérieur à la pensée.

  1. Voy. ci-dessus liv. II, § 7, p. 215-216.
  2. Voy. ci-dessus Enn. V, liv. III, § 11, p. 51.
  3. Plotin ne cite pas ici Platon, mais se borne à faire allusion au passage de la République que nous avons cité ci-dessus, p. 482, note 1.