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SIXIÈME ENNÉADE.

d’elle ; elle n’a donc pas même voulu [à proprement parler] être ce qu’elle est [elle ne s’est pas dit : Je serai cela], et aucun autre principe ne l’a fait être ce qu’elle est.

X. Demandons à celui qui dit que le Bien est par hasard ce qu’il est[1] comment il voudrait qu’on lui démontrât que l’hypothèse du hasard est fausse, supposé qu’elle le soit, et comment on pourrait faire disparaître de l’univers le hasard. S’il y a une nature qui le fasse disparaître [telle que la nature de l’Un], elle ne saurait être elle-même soumise au hasard[2]. Si l’on soumet au hasard la nature qui fait que les autres êtres ne sont point par hasard ce qu’ils sont, il n’y aura plus rien qui ne provienne du hasard. Mais le Principe de tous les êtres bannit de l’univers le hasard en donnant à chacun une espèce, une détermination et une forme (εἴδος ϰαὶ πέρας ϰαὶ μορφήν διδοῦσα (eidos kai peras kai morphên didousa)), et il est impossible d’attribuer au hasard la production des êtres ainsi engendrés d’une manière conforme à la raison. Il y a donc là une cause. Le hasard ne règne que dans les choses qui ne résultent pas d’un plan, qui ne se suivent pas, qui sont accidentelles. Comment rapporter au hasard l’existence du Principe de toute raison, de tout ordre, de toute détermination ? Le hasard est sans doute maître de bien des choses[3] ; mais il ne saurait être maître d’engendrer l’intelligence, la raison et l’ordre. Le hasard est en effet le contraire de la raison : comment donc la produirait-il ? Si le hasard n’engendre pas l’intelligence, à plus forte raison il ne saurait engendrer le principe supérieur à l’intelligence et meilleur qu’elle : car il n’avait pas de quoi engendrer ce principe, il n’existait point lui-même, et il

  1. Creuzer suppose qu’il s’agit ici de Straton. Rien ne prouve que cette argumentation soit dirigée particulièrement contre lui.
  2. Si on lit φήσει, au lieu φύσει, comme le fait Kirchhoff, le sens est : « notre adversaire conviendra qu’elle ne saurait être elle-même soumise au hasard. »
  3. Voy. Jamblique, Lettre à Macédonius sur le Destin, § 5, dans notre tome II, p. 671.