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Page:Plotin - Ennéades, t. III.djvu/67

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CINQUIÈME ENNÉADE.


l’erreur et s’être dérobée aux objets qui fascinent les regards des âmes vulgaires, être plongée dans un recueillement profond, faire taire autour d’elle, non-seulement l’agitation du corps qui l’enveloppe et le tumulte des sensations, mais encore tout ce qui l’entoure. Que tout se taise donc, et la terre, et la mer, et l’air, et le ciel même[1]. Que l’âme se représente alors la grande Âme qui de tous côtés déborde dans cette masse immobile, s’y répand, la pénètre intimement et l’illumine comme les rayons du soleil éclairent et dorent un nuage sombre. C’est ainsi que l’Âme, en descendant dans le monde, a tiré ce grand corps de l’inertie où il gisait, lui a donné le mouvement, la vie et l’immortalité. Mû éternellement par une puissance intelligente, le ciel est devenu un être plein de vie et de félicité ; et la présence de l’Âme a fait un tout admirable de ce qui n’était auparavant qu’un cadavre inerte, eau et terre, ou plutôt ténèbres de la matière, non-être, objet d’horreur pour les dieux, comme dit le poëte[2].

La nature et la puissance de l’Âme se révèlent encore avec plus d’éclat[3] dans la manière dont elle embrasse et

  1. Ce passage de Plotin a été imité par saint Augustin dans le morceau suivant : « Si cui sileat tumultus carnis, sileant phantasiœ terrœ et aquarum et aeris, sileant et poli, et ipsa sibi anima sileat, et transeat se non cogitando, etc. » (Confessiones, IX, 10). Ce même passage de Plotin a été aussi imité par Proclus : « Réduisons au silence l’opinion, l’imagination et les passions qui nous empêchent de nous élever au Premier ; que l’air même, que l’univers soit calme autour de nous, etc. » (Théologie selon Platon, II, 11.)
  2. Voy. Homère, Iliade, chant XX, vers 65.
  3. Saint Cyrille cite aussi ce passage en ces termes : « Voici comment Plotin s’exprime encore au sujet de l’Âme du monde qui est pour lui, je crois, là même chose que l’Esprit-Saint… Ne nous montre-t-il pas par ces paroles la puissance créatrice et vivifiante de l’Esprit-Saint, qui, ainsi que je l’ai dit, donne le mouvement à tout ce qui se meut, contient, anime et vivifie l’univers ? etc. » (Contre Julien, VIII, p. 275-276.)