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LIVRE PREMIER.


gouverne le monde par sa volonté. Elle est présente dans tous les points de ce corps immense, elle en anime toutes les parties, grandes ou petites. Quoique celles-ci soient placées dans des lieux divers, elle ne se divise pas comme elles, elle ne se fractionne pas pour vivifier chaque individu. Elle vivifie toutes choses en même temps, en restant toujours entière, indivisible, semblable par son unité et son universalité à l’Intelligence qui l’a engendrée[1]. C’est sa puissance qui maintient dans les liens de l’unité ce monde d’une grandeur et d’une variété infinie. Si le ciel, le soleil, les astres sont des dieux, c’est par la présence de l’Âme. C’est par elle que nous-mêmes nous sommes quelque chose ; car un cadavre est plus vil que le vil fumier[2].

Mais si c’est à l’Âme que les dieux doivent d’être des dieux, il faut qu’elle soit elle-même un dieu plus auguste. Or notre âme est conforme à l’Âme universelle. Écartez d’elle tout ce qui l’enveloppe, considérez-la dans son état de pureté, et vous verrez combien l’essence de l’âme est précieuse, combien elle est supérieure à tout ce qui est corps[3]. Sans l’âme, tout corps n’est que terre. Ajoutez à la terre le feu, l’eau et l’air, vous n’aurez encore rien qui mérite votre vénération. Si c’est l’âme qui donne au corps sa beauté, pourquoi oublier l’âme qui est en vous pour aller prostituer votre admiration à d’autres objets ? Si c’est l’âme que vous estimez en eux, estimez-la en vous-même ?

III. Puisque l’essence de l’âme est si divine et si précieuse, sois persuadé que par elle tu peux atteindre Dieu ; avec elle élève-toi à lui. Tu n’auras pas à le chercher loin de toi ; il n’y a pas entre lui et toi plusieurs intermédiaires. Afin de l’atteindre, prends pour guide la partie la plus divine et la plus haute de l’âme, la puissance dont elle

  1. « Voy. Enn. VI, liv. IV, § 4.
  2. Plutarque attribue cette expression à Héraclite : νέϰυες γὰρ ϰοπρίων ἐϰϐλητότεροι ϰαθ’ Ἡράϰλειτον (nekues gar kopriôn ekblêtoteroi kath’ Hêrakleiton) (Banquet, IV, 4).
  3. Voy. Enn. IV, liv. VII, § 10 ; t. II, p. 468.