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SUR L’ÉDUCATION

pour l’instruction de son fils. « Mille drachmes, dit Aristippe. — Par Hercule ! reprit l’autre, la demande est exagérée, car pour mille drachmes je puis acheter un esclave. — Eh bien ! dit Aristide, tu auras deux esclaves : ton fils, et celui que tu auras acheté. « En résumé, n’est-ce pas être inconséquent ! On habitue les petits enfants à prendre les aliments avec la main droite : si c’est la main gauche qu’ils avancent on les réprimande ; et l’on ne se préoccupe en aucune façon de leur faire entendre des propos de bon aloi, des propos « de la bonne main »[1]. Qu’arrive-t-il donc à ces pères étonnants qui ont mal élevé, mal instruit leurs fils ? Je vais le dire. Lorsque ceux-ci ayant été inscrits parmi les hommes faits ont méprisé une vie saine et réglée pour donner à corps perdu dans les plaisirs désordonnés, qui ne conviennent qu’à des esclaves, les pères se repentent alors d’avoir trahi les devoirs que leur imposait l’éducation de leurs enfants, et ils se désolent de tous ces méfaits. Regrets inutiles ! Ils voient les uns s’entourer de flatteurs et de parasites, hommes décriés et abominables, ruine et fléau de la jeunesse ; les autres, acheter les faveurs des courtisanes et des prostituées, créatures insolentes et qui coûtent gros ; d’autres, ne songer qu’à la table ; d’autres, se jeter dans le jeu et dans les orgies. Il en est même qui vont à des excès plus scandaleux encore : à l’adultère et aux turpitudes des bacchanales ; ils payeraient de leur existence une seule volupté. Qu’ils eussent suivi les leçons d’un philosophe, ces mêmes jeunes gens ne se seraient pas laissé séduire par de semblables désordres ; ils auraient, du moins, connu le précepte formulé en termes assez grossiers, mais vrai dans la vie pratique : « Pénètre parfois dans les lieux de prostitution, pour apprendre que les plaisirs à bon marché et les plaisirs qui coûtent cher ne diffèrent en rien les uns des autres[2] ».

  1. Mot à mot : « des propos qui soient de droite ». Nous conservons l’image que présente le texte, et qui continue la similitude exprimée plus haut, celle « des aliments pris de la main droite ».
  2. La traduction latine, généralement fidèle, entend : « les choses honnêtes ne diffèrent pas des indignes ». Quelles est alors la portée, et, comme l’annonçait l’auteur la « grossièreté » du mot ?