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CONTRE COLOTÈS.

demande comment il sait que l’on porte son manger à sa bouche et non pas à son oreille ! Peut-être cette boutade mérite-t-elle simplement qu’on en rie, lorsqu’on se rappelle la douceur et la bonne grâce de Socrate.

Cependant, pour l’honneur de tous les Grecs armés,

je veux dire, pour l’honneur des autres philosophes au nombre desquels je compte et Platon, et Stilpon, et Empédocle, et Parménide et Mélissus, qui ont été insultés par cette méchante langue[1], non-seulement

Ce serait lâcheté que garder le silence,

mais encore ce serait commettre un sacrilége que de relâcher et de diminuer rien de la franchise à laquelle ils ont droit quand il s’agit de défendre des hommes qui ont porté la philosophie à un si haut degré de gloire.

Sans doute nos parents avec l’aide des dieux nous ont donné la vie ; mais ayant reçu des philosophes la raison, qui, de concert avec la justice et la loi, nous apprend à réprimer nos désirs, nous devons à ces philosophes la possibilité de bien vivre ; et bien vivre, c’est vivre avec des sentiments de fraternité, de tendresse, de bon accord et de justice. Or aucun de ces sentiments n’est maintenu par ceux qui crient « que le bonheur réside dans la région du ventre ; que pour toutes les vertus réunies ensemble ils ne donneraient pas une pièce de cuivre criblée de trous[2], si avec ces vertus n’était jointe la volupté ; que sans la volupté la vie n’aurait pas la moindre valeur ; que leur philosophe n’a aucunement besoin de s’aider de l’étude de la nature, sauf pour ce qui regarde les dieux et l’âme[3], afin de bien établir que cette dernière est anéantie après sa séparation d’avec le corps, et que quant aux dieux, ils ne prennent aucun soin de nos intérêts. » En effet c’est un reproche adressé aux autres

  1. Amyot : « lesquels respondans aux blasmes que l’on leur donnoit, et aux injures qu’on leur disoit… » Ricard a entendu de même. Nous ne pouvons croire que ce soit le sens.
  2. Amyot : « qu’ils n’achetteroient pas toutes les vertus ensemble d’un denier percé. »
  3. Le texte en cet endroit est mutilé. Nous traduisons d’après les conjectures qu’a proposées Wyttembach.