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CONTRE COLOTÈS.

philosophes par la secte d’Épicure, qu’avec leur sagesse ils suppriment la vie, et de leur côté ces philosophes accusent Épicure et les siens d’enseigner à vivre d’une façon ignoble, à l’instar de la brute.

3. Certainement des idées de ce genre se trouvent répandues au milieu des discours d’Épicure, et à chaque instant on les retrouve dans sa philosophie. Mais Colotès s’est imaginé de détacher des mots vides de choses, de dénaturer des portions et des lambeaux de discours en leur enlevant tout ce qui pouvait en affermir la probabilité et en faciliter l’intelligence. Puis de ces échantillons de marchandises, de cette collection de monstruosités, il a composé son livre. Vous savez mieux que moi si je dis vrai, ajoutai-je, vous autres qui avez sans cesse entre les mains les écrits des anciens philosophes. Pour moi, je trouve que, comme le Lydien, Colotès n’ouvre pas une porte seule contre lui-même[1], mais qu’il embarrasse Épicure dans les difficultés les plus multipliées et les plus grandes. En effet il commence par Démocrite[2], qui reçoit de lui de beaux, de dignes honoraires[3]. Et pourtant, durant de longues années Épicure se proclamait lui-même élève de Démocrite. C’est ce que déclare entre autres Léontée, un des Épicuriens les plus enthousiastes. Dans une lettre adressée à Lycophron Léontée lui écrit « que Démocrite est en grand honneur auprès d’Épicure, pour avoir le premier entrepris l’étude des véritables et sérieuses connaissances, et que la philosophie a été constituée sous le patronage du nom de Démocrite parce que le premier il avait approfondi les principes de la nature. » Quant à Métrodore, il a dit ouvertement, à propos de la philosophie, que « si Démocrite n’avait pas eu tracé la voie, Épicure ne serait pas parvenu à la sagesse ». Or, si en suivant la doctrine de Démocrite il est, comme le pense Colotès, impossible de vivre, Épicure n’était-il pas ridicule de suivre Démocrite qui le faisait aboutir à ne pas vivre ?

  1. Proverbe qu’on appliquait à ceux qui, en soutenant une opinion, donnaient de l’avantage contre eux-mêmes à leur adversaire, et semblaient devenir des assiégés ouvrant une porte à l’ennemi.
  2. Ricard traduit : « il avait puisé ses principes dans Démocrite. »
  3. Ceci est dit ironiquement.