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CONTRE COLOTÈS.

animal, une âme, une nature, qui sorte d’eux, mais même une masse quelconque, un seul assemblage de quoi que ce soit, parce que toujours ils sont en mouvement et séparés les uns des autres.

10. Mais Colotès, en homme qui s’adresse à un prince ignorant[1], attaque aussi Empédocle, parce que sous les mêmes inspirations Empédocle a dit :

Sache autre chose encor : Rien ne naît ici-bas ;
Rien n’est soumis non plus à la loi du trépas.
Seulement tour à tour se mêlent, se divisent,
Les différents objets ; et les sages nous disent :
« C’est la nature… »

Je ne vois pas, pour ma part, en quoi cette opinion d’Empédocle empêcherait de vivre[2] ceux qui croient que ce qui n’est pas ne saurait naître, que ce qui existe ne périt point, que le rapprochement de certaines substances est ce qu’on appelle la génération, et que leur dissolution constitue la mort. C’est « génération » que veut dire Empédocle quand il emploie le mot « nature », et la preuve, c’est qu’il lui oppose la mort. Mais si penser que des mélanges sont la génération, que des décompositions sont la mort, c’est ou ne pas vivre ou ne pas pouvoir vivre, que font autre chose les Épicuriens ? Du moins Empédocle, en ayant soin de coller, d’ajuster, les éléments au moyen du chaud, du mou, de l’humide, leur donne jusqu’à un certain point un mélange et une cohésion qui ressemble à de l’unité. Mais ceux qui, après avoir prétendu que les atomes sont immuables et impassibles, les poussent en un même point, ne peuvent rien en faire naître, et se bornent à les heurter sans cesse les uns contre les autres. L’enchevêtrement de ces atomes les empêche de se séparer et augmente leur collision mutuelle, de sorte que, même d’après une telle doctrine, il n’y a que désordre et combat dans ce qu’on appelle la génération.

  1. Nous avons vu au chap. I, que Colotès avait dédié son ouvrage à Ptolémée. C’était Ptolémée Philopator, prince d’ailleurs décrié sous tous les rapports.
  2. Il faut se souvenir que le traité de Colotės avait pour but de prouver « que l’on ne saurait vivre en suivant la doctrine des autres philosophes ».