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CONTRE COLOTÈS.

Mais si[1] les atomes, après s’être repoussés par leur choc, se rapprochent une seconde fois, la collision perd de sa vivacité. La durée des instants où ils sont séparés les uns des autres devient plus que double ; le contact, le rapprochement sont presque nuls : en sorte que d’eux ne peut se produire même un corps inanimé. Quant au sentiment, à l’âme, à l’intelligence, à la réflexion, il est impossible, avec la meilleure volonté, d’en concevoir la formation au sein du vide et des atomes. Le vide et les atomes n’ont en effet, en soi, aucune qualité. Leur rapprochement ne fait pas que rien soit affecté ou soit changé. Ce rapprochement ne détermine même ni combinaison, ni mélange, ni incorporation. Il en résulte au contraire des heurts et des élans en sens inverse : de sorte que les dogmes d’Épicure suppriment la vie, suppriment l’existence de tout être animé. Ce sont des principes vides, insensibles, étrangers à l’idée de Dieu, à l’idée d’âme ; on y substitue des principes incapables de se mêler et de s’identifier.

11. Comment donc une pareille doctrine nous laisse-t-elle la nature, l’âme, et l’être animé ? Comment nous laisse-t-elle le serment, la prière, les sacrifices, l’adoration ? Ce ne sont plus là que des noms, que des mots maintenus pour dire, pour feindre, pour nommer, ce que leurs principes et leurs dogmes ont anéanti. Si à ce qui est né ils donnent le nom de nature, à ce qui a été engendré celui de génération, (ainsi que par extension le bois est appelé boiseries et les instruments de musique sont appelés musique), comment est-il venu en l’esprit de Colotès de jeter à la tête d’Empédocle des questions comme celles-ci ? « Pourquoi, dit-il, nous fatiguer nous-mêmes à ménager ainsi nos propres intérêts ? Pour quoi rechercher avidement certaines choses, nous tenir en garde contre certaines autres ? Car nous ne sommes point, nous ne vivons point, nous ne conversons point avec d’autres. » — Mais, mon cher petit Colotès, pourrait-on lui

  1. Nous adoptons l’ingénieuse correction suivie en cet endroit par Amyot, et approuvée par Wyttembach, bien que celui-ci ne l’exécute pas.