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CONTRE COLOTÈS.

répondre, personne ne vous empêche de vous agiter dans votre propre intérêt ; personne ne vous enseigne que la nature de Colotès soit Colotès lui-même et rien autre. Personne, pour que vous vous absteniez des choses, (et les choses pour vous autres sont des voluptés), ne vous prouve qu’il n’y a point une nature pour les gâteaux, pour les parfums, pour les rapprochements amoureux, et qu’il y a pourtant des gâteaux, des essences et des femmes. Car le grammairien qui dit que « la force d’Hercule » et « Hercule » sont des expressions identiques, ne nie pas pour cela l’existence d’Hercule ; ceux qui disent que « musique, boiseries » sont des figures de mots, ne nient point qu’il y ait des instruments de musique et du bois. Et pourtant voilà des gens qui suppriment l’âme, la prudence, et qui en même temps prétendent qu’on peut vivre et qu’on peut être prudent. Quand Épicure dit : « La nature des êtres, ce sont des corps et de l’espace », devons-nous entendre que, dans sa pensée, la nature soit autre chose que les êtres existants, qu’elle se compose des êtres existants et qu’elle ne soit rien autre chose, comme, du reste, il a coutume de donner le nom de nature de vide au vide lui-même, et, qui plus est, de donner le nom de nature de l’univers à l’univers lui-même ? Mais si quelqu’un lui demandait : Comment admettez-vous, ô Épicure, que le vide soit une chose et la nature du vide une autre chose ? — Par Jupiter, répondrait-il, rien de plus simple. C’est une sorte de convention que cette communauté de termes, et c’est en vertu de cette convention que je m’exprime ainsi moi-même. – Eh quoi ! Empédocle fait-il autre chose, quand il enseigne que la nature ne diffère en rien de ce qui naît, ni la mort, de ce qui s’anéantit ? Mais comme les poëtes usent souvent du style figuré, et disent :

Débats, tumulte, mort, étaient là réunis[1] ;

de même on emploie communément les mots « génération »

  1. Iliade, XVIII, 535.