Page:Plutarque - Vies des hommes illustres, Charpentier, 1853, Tome 1.djvu/103

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Le premier devoir de celui qui commande ; c’est de conserver l’État : il lui faut, pour cela, autant s’abstenir de ce qui n’est pas convenable, que s’attacher à ce qu’il convient de faire. S’il se relâche ou se roidit trop, il cesse d’être roi : il n’est plus le chef de son peuple ; il en devient le flatteur ou le despote, et il s’attire sa haine ou son mépris. De ces deux défauts, l’un vient, je crois, d’un excès de douceur et d’humanité ; l’autre de l’amour-propre et d’une dureté de caractère.

S’il ne faut pas rendre la Fortune seule responsable des malheurs des hommes, et si l’on doit chercher quelle part y ont eue les dérèglements du cœur et de la raison, on ne saurait absoudre de colère aveugle et d’emportement précipité la conduite de Romulus envers son frère, et celle de Thésée envers son fils. Mais, à considérer l’occasion qui excita leur courroux, celui-là est plus digne d’excuse, dont les motifs étaient plus graves, et qui a été comme renversé par un coup plus violent. C’est sur une question d’intérêt public, et pour une affaire en délibération, que Romulus se prit de querelle avec son frère ; et l’on ne peut guère comprendre comment il put se porter soudain à un tel excès. Thésée, en s’emportent contre son fils, cédait à des puissances que bien peu d’hommes ont su vaincre : l’amour, la jalousie, et les calomnies d’une femme. Mais une différence capitale, c’est que la colère de Romulus alla jusqu’aux effets, et que l’action eut une issue calamiteuse, tandis que celle de Thésée se borna à des paroles, à des injures, à des malédictions, vengeance ordinaire des vieillards. Le malheur de son fils fut évidemment un coup de la Fortune. Donc il faut, sur ce point, donner la préférence à Thésée.

Mais un grand avantage de Romulus, c’est que sa puissance eut les commencements les plus chétifs. Esclaves, lui et son frère, et réputés fils de porchers, ils mirent en liberté, avant d’être libres eux-mêmes, presque tous