Page:Plutarque - Vies des hommes illustres, Charpentier, 1853, Tome 1.djvu/104

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les peuples du Latium, et ils reçurent tout d’une fois les titres les plus glorieux : vainqueurs de leurs ennemis, sauveurs de leurs parents, rois des nations, fondateurs de villes. Et ils les fondèrent, ces villes, sans transplanter les populations comme Thésée, qui, pour réunir en un seul corps plusieurs centres d’habitation, ruina des villes qui portaient les noms des anciens rois et des anciens héros de l’Attique. Au reste, Romulus le fit aussi par la suite, en obligeant les peuples vaincus à démolir leurs villes, et à venir habiter avec les vainqueurs. Mais, dans l’origine, ce ne fut ni une transplantation, ni le simple agrandissement d’une ville qui subsistât déjà : il fit tout de rien ; il acquit à la fois une contrée, une patrie, un royaume, des familles, et il forma des mariages et des alliances. Et ce ne fut pour personne une cause de mort ou de ruine : ce fut, au contraire, un bienfait pour une multitude de fugitifs, qui, n’ayant ni feu ni lieu, demandaient à se réunir en peuple, et à devenir des citoyens. Sans doute, Romulus ne tua ni brigands ni malfaiteurs ; mais il dompta des nations et des cités, et il mena en triomphe des rois et des généraux d’armée.

Il y a controverse, au sujet du meurtre de Romus ; et c’est sur d’autres que Romulus qu’on rejette presque tout le crime. Mais c’est chose certaine que Romulus sauva sa mère de la mort ; qu’il replaça sur le trône d’Énée Numitor, son aïeul, qui était réduit à un honteux esclavage ; qu’il lui rendit volontairement de grands services, et qu’il ne lui fit aucun tort, même involontaire. L’oubli de Thésée et sa négligence, après la recommandation que lui avait donnée son père de changer la voile du vaisseau, sont inexcusables, à mon sens ; et les arguments les plus longuement déduits ne le préserveraient pas, même avec des juges indulgents, d’encourir la peine des parricides. Aussi un auteur athénien, dans la conscience de l’extrême difficulté d’une apologie, a-t-il supposé qu’Égée, en apprenant l’arrivée du vaisseau, courut à la