Page:Plutarque - Vies des hommes illustres, Charpentier, 1853, Tome 1.djvu/105

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citadelle avec tant de précipitation, pour le voir de loin, qu’il fit un faux pas, et qu’il se laissa tomber. Comme s’il n’y eût pas eu près de lui quelqu’un de sa suite, ou que, le voyant aller du côté de la mer, aucun de ses serviteurs ne l’eût accompagné !

Quant à l’injustice commise par l’enlèvement des femmes, elle n’a, dans Thésée, aucun prétexte plausible. Premièrement, il s’en rendit coupable plusieurs fois : il ravit Ariadne, Antiope, Anaxo de Trézène ; après toutes celles-là, Hélène, qui n’était pas encore nubile, lui déjà vieux ; une enfant, et dans l’âge le plus tendre, lui arrivé dans la saison où il devait s’abstenir de tout hymen, même légitime. En second lieu, on ne peut pas l’excuser sur le motif ; car ni les filles de Trézène, ni celles de Sparte, ni les Amazones, outre qu’elles ne lui avaient point été fiancées, n’étaient plus vraiment dignes de lui donner des enfants que les Athéniennes, descendues d’Érechthée et de Cécrops. On peut donc le soupçonner de n’avoir suivi qu’une passion déréglée et l’attrait de la volupté. Romulus, qui n’enleva guère moins de huit cents femmes, prit pour lui non pas toutes, mais la seule Hersilie, dit-on, et il laissa les autres aux plus distingués des citoyens. Dans la suite même il fit bien voir, par la bonne conduite des Romains envers ces femmes, par les égards et l’affection qu’ils leur témoignèrent, que cette violence et cette injustice avaient été, en vue d’une alliance, une œuvre de haute sagesse et de bonne politique. C’est par là qu’il fondit ensemble, et qu’il réduisit en un tout compacte, les deux nations ; ce fut là, en un mot, la source de la mutuelle bienveillance que se portèrent depuis Sabins et Romains, et de la puissance même de Romulus.

Mais le temps est un sûr témoin de la pudeur, de l’amour et de la constance que Romulus fit régner dans l’union conjugale. Pendant deux cent trente ans on ne vit pas un seul mari qui osât quitter sa femme, ni une