Page:Plutarque - Vies des hommes illustres, Charpentier, 1853, Tome 1.djvu/321

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valoir les partisans de la réponse miraculeuse, en faveur de leur opinion, c’est la fortune de Rome. Une ville sortie d’une si faible et si méprisable origine, se fût-elle jamais élevée à un tel degré de gloire et de puissance, si quelque divinité ne lui eût sans cesse donné les marques d’une éclatante protection ? Ils citent enfin d’autres prodiges de même nature. N’a-t-on pas vu, disent-ils, les statues suer, soupirer, se détourner, faire des signes d’yeux : merveilles consignées dans les récits d’une foule d’anciens ? Je pourrais moi-même, sur l’autorité de plusieurs de nos contemporains, rapporter nombre de faits dignes d’admiration, qu’on ne rejetterait pas sans hésiter. Mais, dans de telles matières, il y a, à croire tout ce qu’on dit, le même péril qu’à ne rien croire : car la faiblesse humaine, n’ayant point de terme où elle se doive borner, et ne sachant point s’imposer de loi, ou se laisse entraîner à la superstition et à l’orgueil, ou tombe dans la négligence et le mépris des choses saintes. Or, la réserve et la modération sont ce qu’il y a de plus sage.

La grandeur d’un tel exploit, la prise de cette ville rivale de Rome, et dont le siège avait duré dix ans, peut-être aussi les louanges dont on comblait le vainqueur, enflèrent le cœur de Camille, et lui inspirèrent des sentiments trop hauts pour le magistrat d’une république dont il devait respecter les usages : il mit trop de faste dans tout l’appareil de son triomphe, et il entra dans Rome monté sur un char tiré par quatre chevaux blancs ; ce qu’aucun général n’avait fait avant lui, et ce qu’aucun ne fit depuis ; car les Romains regardent comme sacrée cette sorte de char, et ils la réservent pour le roi et père des dieux. Ce fut la première cause du mécontentement des citoyens, lesquels n’étaient pas accoutumés à cette magnificence insultante. Ils en eurent bientôt une seconde, dans l’opposition de Camille à la loi sur le partage de la population. Les tribuns du peuple