Page:Plutarque - Vies des hommes illustres, Charpentier, 1853, Tome 1.djvu/520

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laissait traîner et retenir en prison, pour gages de leurs dettes. Bientôt la ville fut en proie aux troubles et à la sédition. Les ennemis, instruits de ces agitations populaires, entrèrent à main armée sur le territoire de Rome, et ils y mirent tout à feu et à sang. Alors les consuls firent un appel à tous ceux qui étaient en âge de porter les armes ; mais personne ne se présenta. Les magistrats se partagèrent d’opinions comme auparavant : les uns voulaient qu’on cédât quelque chose aux pauvres, et qu’on relâchât l’excessive rigueur de la loi ; les autres soutenaient un avis tout contraire, et Marcius était de ce nombre. Ce n’est pas que, dans cette affaire, Marcius tint grand compte de la question d’argent ; mais il regardait l’entreprise du peuple comme une tentative de désobéissance et d’attentat contre les lois, que la prudence, selon lui, commandait d’amortir et d’éteindre.

Le sénat s’était assemblé plusieurs fois en peu de temps, et sans pouvoir rien conclure, quand tout à coup les pauvres s’attroupent, s’animent les uns les autres, et abandonnent la ville. Ils se retirèrent sur la montagne qu’on appelle aujourd’hui le mont Sacré, située le long du fleuve Anio[1]. Ils ne s’y livrèrent à aucune violence, à aucun mouvement séditieux ; et ils se contentèrent d’exhaler leurs plaintes. « Il y a longtemps, criaient-ils, que les riches nous ont chassés de Rome. Nous trouverons partout, dans l’Italie, l’air, l’eau et la sépulture. Rome ne nous offre rien de plus, sinon des blessures ou la mort à recevoir, en combattant pour les riches. » Le sénat s’inquiéta de cette retraite ; et il députa vers le peuple les plus doux et les plus populaires d’entre les vieux sénateurs. Ménénius Agrippa porta la parole[2]. Tout en adressant au peuple d’instantes prières,

  1. Qui se jette dans le Tibre un peu au-dessus de Rome.
  2. D’autres, suivant les historiens, avaient déjà parlé, avant que Ménénius contât son apologue.