Page:Plutarque - Vies des hommes illustres, Charpentier, 1853, Tome 3.djvu/161

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à bâtir, disait-il, n’ont pas besoin d’ennemis pour les ruiner ; ils se ruinent eux-mêmes. » Il avait plusieurs mines d’argent, et des terres d’un grand rapport, avec beaucoup de laboureurs pour les faire valoir ; cependant tout cela n’était rien en comparaison du revenu que lui procuraient ses esclaves, tant ils étaient nombreux et distingués par des talents divers : c’étaient des lecteurs, des copistes, des banquiers, des régisseurs, des officiers de table. Il assistait aux leçons qu’il leur faisait donner, suivait leurs progrès, les instruisait lui-même, persuadé qu’il est réellement du devoir du maître de former ses esclaves, comme étant des instruments vivants de l’économie domestique. Et il avait raison d’agir ainsi, s’il pensait, comme il le disait, qu’on doit administrer ses biens par ses esclaves, et ses esclaves par soi-même. En effet, la science économique, en tant qu’elle s’applique aux choses inanimées, n’est qu’un trafic ; quand elle s’applique aux hommes, elle rentre dans la politique. Mais Crassus avait tort en ceci, qu’il pensait et disait souvent qu’un homme n’est pas riche, quand il ne peut pas entretenir à ses frais une armée. « On n’alimente pas la guerre avec un revenu réglé, » disait Archidamus. Par conséquent, les sommes qu’elle exige sont toujours impossibles à déterminer. Crassus était donc bien loin de partager le sentiment de Marius. Celui-ci avait distribué quatorze arpents de terre à chacun de ses soldats ; on l’informa qu’ils en demandaient davantage : « À Dieu ne plaise qu’il y ait un seul Romain, répondit-il, qui croie trop petite une terre suffisante pour le nourrir ! »

Cependant Crassus, malgré son avarice, se montrait libéral envers les étrangers ; sa maison était ouverte à tout le monde ; et il prêtait à ses amis sans intérêts ; mais il redemandait rigoureusement le capital, lorsque arrivait le terme fixé pour le remboursement : de sorte qu’un prêt gratuit devenait plus lourd qu’un prêt à gros inté-