Page:Plutarque - Vies des hommes illustres, Charpentier, 1853, Tome 3.djvu/584

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et d’Apollonie. Il renvoya les vaisseaux de transport à Brundusium, pour amener les troupes qui étaient restées en arrière. Ces soldats, épuisés de fatigue, rebutés de ces combats qu’il leur fallait livrer sans relâche contre tant d’ennemis, se plaignaient de César dans leur route : « Où donc, disaient-elles, cet homme veut-il nous mener ? et où s’arrêtera-t-il enfin ? Ne cessera-t-il de nous traîner partout à sa suite, et de se servir de nous comme d’êtres infatigables, et dont la vie ne saurait s’user ? Le fer même cède aux coups dont on le frappe ; les boucliers et les cuirasses ont à la longue besoin de repos. César ne s’aperçoit donc pas, à nos blessures, qu’il commande à des hommes mortels, et que nous sommes sujets à tous les maux, à toutes les souffrances de la condition mortelle ? Dieu lui-même ne peut pas, sur la mer, forcer la saison de l’hiver et des vents. Et cependant, c’est dans cette saison que César nous expose au péril : on dirait, non qu’il poursuit ses ennemis, mais qu’il fuit devant eux. » En parlant de la sorte, ils s’acheminaient lentement vers Brundusium ; mais, lorsqu’en arrivant, ils trouvèrent que César était déjà parti, alors ils changèrent de langage : ils se firent à eux-mêmes de vifs reproches ; ils s’accusèrent d’avoir trahi leur général ; ils allèrent même jusqu’à s’emporter contre leurs officiers, qui n’avaient pas pressé la marche ; et, assis sur les rochers de la côte, ils portaient leurs regards sur la mer et vers l’Épire, pour voir s’ils apercevraient les vaisseaux qui devaient les porter à l’autre bord.

Cependant César était à Apollonie, avec une armée trop faible pour rien entreprendre, parce que les troupes de Brundusium tardaient à arriver. Livré à une incertitude affligeante, il prit enfin la résolution hasardeuse de s’embarquer seul, à l’insu de tout le monde, sur un bateau à douze rames, et de se rendre à Brundusium, quoique la mer fut couverte de vaisseaux ennemis. À l’entrée