Page:Poésies de Malherbe.djvu/32

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allait naître d’une ère moins orageuse dans sa grandeur que l’âge qu’il voyait finir, il fallait une langue. Ce fut sa gloire d’avoir créé cette langue. Son tort fut de croire qu’une langue était à elle seule toute une poésie. Mais ainsi va l’esprit humain. On n’est fondateur qu’à la condition d’abaisser toute idée devant celle que l’on édifie, et de ne reconnaître à l’édifice d’autre base que la pierre que l’on a posée. Né à une époque où il y avait encore quelque chevalerie dans les âmes, il semble que Malherbe ait cherché autour de lui en l’honneur de qui il ferait la veille des armes, et que, voyant cette pauvre langue de France en proie aux téméraires innovations de Ronsard, il en ait eu pitié, et se soit dévoué à la servir.

Si l’avenir revise avec quelque sévérité la gloire poétique de Malherbe, du moins fera-t-il immense la part de son heureuse influence sur la langue. Après lui et par lui, les grands poètes de l’âge suivant ont pu impunément oser les hardiesses de leur génie. Il y a plus : de nos jours, où l’esprit humain a si justement revendiqué sa liberté, que de fois les limites posées à la langue par Malherbe ont défendu contre leurs propres excès de nobles imaginations qui, si elles n’eussent rencontré cette digue, au lieu de féconder le champ de l’art, auraient stérilement jeté au vent de précieuses facultés !

Antoine de Latour.