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LA VICTOIRE

liennes que pour l’intempérance de Wilson. Il me parle aussi de notre diplomatie qu’il trouve lamentable. « Les Cambon sont vieux, usés, finis, et il n’y a personne derrière eux. J’ai aussi obtenu de Pichon qu’il remplaçât Beau par Dutasta. »

— Oui, lui dis-je. Dutasta est l’homme de confiance de Pichon.

— De Pichon ? Pas du tout ! De moi ! Pichon en a peur et ne l’aime pas, parce que Dutasta lui reproche bien souvent sa faiblesse. Pichon, du reste, ne voulait pas le nommer. « Vous allez me faire injurier, me disait-il. — Injurier, par qui ? lui ai-je répondu. Par vos collaborateurs ? Mais vous non plus, vous n’êtes pas né au quai d’Orsay ! »

Le Tigre est très gai, très en forme, toujours gavroche et aussi, je le crains, trop prime-sautier, fantaisiste et léger, comme disait Ferry.

Visite de Léon Bourgeois, qui revient du Midi et paraît bien portant. Nous parlons de tout, des affaires militaires, diplomatiques. Il trouve, comme moi, que Pichon ne soutient pas assez énergiquement ses opinions devant Clemenceau ; mais Pichon se considère comme un élève devant son maître, et lorsqu’il n’est pas d’accord avec lui, il souffre en silence.


Lundi 14 janvier.

À onze heures du matin, Clemenceau arrive. En passant chez Sainsère, qui ne savait rien de ce qui se préparait, il lui dit : « Caillaux est à la prison de la Santé, en pleine santé. » Puis il me confirme que tout s’est passé très tranquillement, bien que Caillaux eût dit ces jours-ci à Bouchardon : « Si on vient pour m’arrêter, il y aura cinq balles pour les agents de police et une pour moi. » Clemenceau radieux. L’ambassadeur des États-Unis vient de lui communiquer un nouveau déchif-